À voir : ces skateboards qui apportent de la joie dans une vie brisée par l’occupation

Sarah Irving – The Electronic Intifada – 21 août 2015

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VIDEO: https://vimeo.com/135585858

Le petit film de Maen Hammad, Kickflips Over Palestine, est une représentation magnifiquement réalisée et intime d’une petite – mais grandissante – sous-culture en Palestine. (Le kickflip est une figure de skateboard),

En un peu plus de vingt minutes, il révèle au spectateur les libertés et les joies que le skateboard apporte dans la vie des jeunes confinés par l’occupation israélienne.

Mais – refusant d’idéaliser la situation pour la jeunesse palestinienne -, il dépeint aussi certains des impacts de cette occupation.

Maen Hammad, réalisateur palestinien aux USA de Kickflips Over Occupation, a répondu à quelques questions à propos de son film.

The Electronic Intifada : Maen, qu’est-ce qui vous a motivé, au départ, pour réaliser ce film ?

Maen Hammad : Eh bien, j’ai décidé de faire ce film après être venu en Palestine pendant l’été 2014. Comme je l’évoque dans le film, c’était la première fois que j’y revenais en plus de dix ans, la fois précédente étant pendant la Deuxième Intifada.

Ainsi, quand je suis revenu cet été, mes yeux se sont ouverts sur cette nouvelle version de la Palestine, une Palestine que je n’avais jamais vue auparavant. Quand j’ai trouvé ces enfants en train de pratiquer le skateboard, j’ai appris à les connaître, parce que j’étais super emballé en voyant cela et ils m’ont raconté de quelle façon ils avaient obtenu leurs planches par des membres de leurs familles à l’étranger, ou attendu pendant des mois et des mois que (l’organisation) SkatePal leur envoie le matériel – et en fait, les luttes pour la pratique du skateboard elle-même en Cisjordanie.

Ces simples récits m’ont motivé pour réaliser le film. Je suis retourné en Amérique à la fin de l’été, et j’ai su que la prochaine fois que je reviendrai en Palestine, je serai prêt à faire ce documentaire. Après une sorte de crise d’identité et étant totalement coupé de la Palestine, j’ai fini par abandonner l’école de droit (je n’avais jamais vraiment commencé le droit mais cet automne était censé être ma première année) et je savais que je voulais revenir en Palestine.

J’ai réservé mon vol pour le mois de mars (2015), aussi j’ai eu six mois pour obtenir les fonds et faire tous les préparatifs pour Kickflips Over Occupation, un titre que j’avais déjà rangé dans ma tête.

J’avais trois emplois à ce stade, alors rassembler le tout à cet égard a été très difficile, sans oublier que j’étudiais aussi pour le GRE (Graduate Record Examination – évaluation des connaissances générales) et que je tentais les programmes de maîtrise. Mais tout a bien marché et j’ai économisé assez d’argent pour acheter une caméra, un micro, un stabilisateur et deux objectifs – à peu près un budget de 1500 dollars pour tout l’équipement.

J’avais une expérience très limitée en matière de montage et de réalisation aussi j’ai surtout appris comment faire un documentaire pendant que je faisais ce documentaire. J’ai tout simplement filmé ce qui, pour moi, me semblait ou était vu comme important.

Sur les courses en taxi, pendant les cours de skate, dans les rues, durant les interactions avec les soldats… littéralement tout. Les amis m’appelaient « l’homme à la caméra ». Tout s’est retrouvé à sa place après le tournage. J’avais cinq mois pour le montage et une idée approximative de ce qui allait être raconté.

EI : Combien, à votre avis, y a-t-il de jeunes actuellement qui s’adonnent au skateboard en Palestine ?

MH : Selon moi, il n’y a pas plus de dix gosses à posséder en réalité un skateboard et qui patinent. Par cela, j’entends patiner au moins une fois ou deux par semaine. Ce sont ceux que j’appellerais le noyau des skateurs, les gamins que j’ai interviewés, et ceux qui patinent dans les rues et tout le reste.

Mais je pense qu’il y a au moins 50 à 75 gamins qui pratiquent lors des leçons de skate dans les quatre différents parcs pour skateboard (Ramallah, Qalqilya, Bethléhem et Zababdeh). Ceux-là ne possèdent pas de skateboard mais vont aux cours de patinage et en fait certains de ces gosses sont vraiment bons. Il y a aussi un autre skatepark qui va être construit à Naplouse cet automne.

Pour Gaza, je ne peux répondre parce que je n’y suis jamais allé et je ne connais guère le monde du skateboard là-bas. J’aimerais connaître et que le skateboard s’étende jusqu’à Gaza, mais je ne pense pas que le siège encourage cette idée.

Puissants

EI : Y a-t-il un public particulier que vous aimeriez particulièrement toucher avec ce film ?

MH : J’aimerais que tout le monde voie ce film, mais je pense qu’il est plus puissant pour le public international. Je pense que quiconque a déjà pratiqué le skateboard ou a une idée de ce qu’est la pratique du skateboard sera en mesure d’en apprendre avec ce film, non seulement sur l’occupation, mais encore sur les skateurs en Palestine.

J’ai choisi de faire un récit se focalisant vers la fin principalement sur les interviewés parce que je savais que leurs propos étaient bien plus puissants que les miens. Je pense que les skateurs des États-Unis et d’Europe apprécieront leurs récits, parce que la façon dont ils pratiquent le skateboard est absolument unique.

Je veux aussi que ceux qui critiquent la Palestine ou le peuple palestinien regardent cela, parce que la vidéo montre un côté très différent de la jeunesse palestinienne. La stigmatisation des terroristes barbares, lançant des pierres, est remise en cause par ces gosses. Ce sont des gamins normaux, qui essaient de vivre une vie plus normale, dans un endroit très anormal.

EI : Nous voyons quelques skateuses dans le film. La pratique du skateboard est souvent considérée comme un sport principalement de garçons. Combien y a-t-il de skateuses en Palestine ?

MH : Il y a quelques skateuses plus âgées, mais ce sont surtout des skateuses qui participent aux classes de skate et ne rentrent pas dans le petit noyau des dix skateurs. À Bethléhem, il y a deux classes de skateboard, une pour les garçons et une pour les filles, et les filles dans leur classe viennent à nombre égal, si ce n’est plus, et elles sont tout aussi bonnes.

Un moyen pour changer

EI : La pratique du skateboard et les autres projets de la jeunesse sont-ils vraiment en mesure de changer les choses pour les jeunes, à votre avis, ou ne font-ils que leur rendre plus supportable la vie sous occupation ?

MH : Hum, j’aime bien cette question. Je pense que la pratique du skateboard et les autres projets de la jeunesse peuvent vraiment changer les choses pour les jeunes. Je le vois à l’intérieur du noyau de skateurs qui s’y adonnent tous les jours. Ces gamins utilisent le skate de la même manière que moi quand j’étais gamin – et plus encore. Il est difficile de l’envisager pour un non-skateur je pense, mais l’aspect développement par soi-même de la pratique du skateboard est une réalité et c’est pourquoi, selon moi, elle peut changer les choses pour eux.

Ces gosses rencontrent aussi de nombreux internationaux à travers les projets de skateboard et se font une idée de leur vie, et vice-versa, ce qui leur permet de communiquer avec un grand choix d’internationaux.

Enfin, le skateboard, en tant qu’exutoire sûr pour eux, constitue un moyen formidable pour changer. Je pense qu’Aram, l’un des gosses interviewés, qui a été blessé deux fois par balles, utilise maintenant le skateboard comme son exutoire, au lieu d’aller aux affrontements et aux manifestations. Donc je crois que le skateboard est certainement un moyen pour eux de supporter la vie sous occupation, mais c’est aussi un moyen pour changer leurs vies.

EI : Quel avenir voyez-vous – quelles prochaines étapes – pour le skateboard en Palestine ?

MH : Je pense que la prochaine étape pour le skateboard palestinien, c’est de nouveaux skateparks et, je l’espère, un magasin de skate. Ce sont deux choses qui feront assurément augmenter le nombre de skateurs. Les skateparks et les équipements pour les classes de skate sont placés sous l’aile de SkatePal, et ils font franchement un excellent travail. Presque tous les étés, ils construisent un nouveau parc, ce qui est génial. Skate Aid, qui a construit le skatepark de Bethléhem, est également formidable avec son choix d’un village de SOS Enfants, ces jeunes à risque et ces orphelins aiment pratiquer le skateboard, comme ils sont enthousiastes pendant chaque classe.

Sauf que l’acquisition de l’équipement est le plus gros problème. Les gosses vont en Jordanie ou attendent que des amis ou de la famille viennent en Cisjordanie avec l’équipement, mais cela ne fait que mettre des obstacles sur le chemin du skateboard. Je pense que s’il y avait un magasin de skate, qui vendrait ne serait-ce que les skateboards et les équipements les plus basiques, alors, cela ferait avancer beaucoup le mouvement.

Une fois que les gamins ont vu un skateboard et qu’ils sont montés dessus, ils ne pensent plus qu’à ça et ils me demandent toujours où je l’ai eu, parce qu’ils en veulent un aussi. Mais je réponds, « il vient d’Amérique », simplement parce qu’il n’y a pas de magasin de skate à leur portée. Je pense que l’idée de produire localement des planches est vraiment super, j’ignore s’ils ont les outils et le bois pour en fabriquer, mais ce serait génial de voir une société palestinienne de skateboard.

Je suis très impatient de voir l’avenir du skateboard palestinien car vraiment c’est tellement nouveau. Avec aucun des gamins n’ayant patiné plus de deux ans, il est très intéressant de voir quelle sera la progression de ce sport.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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