Officiellement, le siège de Yarmouk est levé mais sur le terrain c’est toujours « l’enfer »

Par Maureen Clare Murphy, 27 juillet 2015

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Photo : Une photo du camp de Yarmouk de l’UNRWA en 2014.

A Yarmouk, la situation ne s’est pas beaucoup améliorée depuis que le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon l’a qualifiée, en avril, de « cercle le plus profond de l’enfer » dans une Syrie ravagée par la guerre.

Mais son rapport au Conseil de sécurité sur la Syrie, publié fin juin, oublie de compter les milliers de civils qui demeurent dans le camp, au sud de Damas, dans le recensement de la population des zones assiégées.

On les a oubliés jusqu’à la révélation par l’agence de presse humanitaire IRIN, la semaine dernière, du changement de statut de Yarmouk qui a déclenché des réactions incrédules sur les réseaux sociaux.

Sur Twitter: https://twitter.com/Salim_SYR/status/624574901219926016

sur Twitter: https://twitter.com/kshaheen/status/624529503205724160

sur Twitter: https://twitter.com/KenRoth/status/624692875377381376/photo/1

Le groupe de défense Palestinian League for Human Rights-Syria a demandé au BCAH, l’instance de l’ONU qui a recommandé à Ban Ki-Moon le changement de statut de Yarmouk, d’expliquer en détail son argument « étant donné que la situation sur le terrain le contredit ».

L’argument implicite du rapport du secrétaire général est que l’UNRWA, l’Office des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine, a pu apporter du secours aux réfugiés qui ont fui de Yarmouk pour s’installer dans trois banlieues proches.

Un camp isolé

Mais comme le rapporte IRIN, même l’accès à ces zones a été restreint depuis le 8 juin. L’UNRWA ne peut pas accéder directement à Yarmouk depuis fin mars.

Début avril, l’UNRWA a été contraint de suspendre la distribution de l’aide dans le camp après l’entrée de l’Etat Islamique (la milice connue également sous le nom d’ISIS ou EIIL).

Selon les estimations, il y avait 18000 civils dans le camp à ce moment-là, dont 3500 enfants, et ils sont nombreux à avoir fui dans des régions voisines alors que des groupes armés se battaient dans le camp et que les forces du gouvernement syrien bombardaient à l’aveuglette.

Yarmouk accueillait avant 150000 réfugiés palestiniens et des ressortissants syriens mais la plupart des résidents ont fui fin 2012 après l’entrée des forces rebelles dans le camp, dont la branche d’Al-Qaida en Syrie, Jabhat al-Nosra. Le gouvernement et les forces alliées ont commencé à bloquer l’accès à Yarmouk en juillet 2013.

Depuis, les résidents ne disposent pas d’électricité fiable puisque l’alimentation principale a été coupée. Depuis un an, il n’y a pas d’eau courante dans le camp. Des dizaines d’entre eux sont morts de faim et par manque de soins médicaux.

Même dans le contexte de la Syrie (qui a causé la plus grande crise humanitaire mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale, d’après l’Union Européenne), la situation de Yarmouk est particulière.

Des Palestiniens pris pour cibles

Nidal Bitari et Wesam Sabaaneh, qui tous les deux sont nés et ont grandi dans le camp, ont donné le mois dernier, au Centre Palestine de Washington, un aperçu global et inquiétant de la situation des réfugiés palestiniens en Syrie et en particulier à Yarmouk. (voir la vidéo ci-dessous)

Wesam Sabaaneh, le directeur de la Fondation Jafra pour le secours et le développement de la jeunesse, considérée comme la plus grande association de la société civile palestinienne en Syrie, a déclaré qu’ « il est évident que les Palestiniens sont pris pour cibles en Syrie, et ce depuis le début du conflit syrien ».

Le camp de Deraa, dans une région au sud de la Syrie où les manifestations de 2011 ont commencé, « a été pris pour cible depuis le début », dit Wesam Sabaaneh en expliquant qu’à l’époque Bouthaina Shaaban, une conseillère du président syrien Bashar al Assad, « prétendait qu’il y avait à Deraa des terroristes palestiniens qui essayaient de détruire le pays ».

Quatre ans plus tard, plusieurs camps de réfugiés palestiniens ont été dépeuplés, lourdement endommagés ou demeurent inaccessibles.

« Plus aucun Palestinien ne vit dans les camps de Husseiniya et de Sbeineh [à Damas] ; ils ont été totalement évacués », dit Wesam Sabaaneh.

VIDEO: https://www.youtube.com/watch?v=8wk3stZy-SU

Nidal Bitari explique qu’avant la flambée de la violence, Yarmouk était la capitale de la vie palestinienne en Syrie, où vivait la plus grande diaspora. Ses habitants étaient très instruits et Yarmouk était le refuge de la culture palestinienne après l’expulsion massive de leur patrie en 1948.

« Le quartier général des factions palestiniennes étaient à l’intérieur de ce camp. Les principaux acteurs, centres et associations de la société civile palestinienne de la diaspora de Syrie étaient à l’intérieur de ce camp », dit Nidal Bitari.

C’est cette société civile dynamique qui s’est efforcée de répondre aux besoins des Palestiniens de Syrie que n’avaient pas comblés les organisations internationales – mais en s’exposant à un grand risque. Plusieurs bénévoles de Jafra ont été tués ou emprisonnés pendant la guerre civile.

Jafra est l’une des rares structures qui œuvre dans des zones contrôlées soit par le gouvernement, soit par l’opposition.

« Dans le camp de Yarmouk, nous assurons la gestion des déchets depuis deux ans et demi ; nous acheminons l’eau par camion ; nous scolarisons aussi des enfants qui n’allaient plus à l’école dans les zones contrôlées par l’opposition et les camps de déplacés », dit Wesam Sabaaneh.

Nidal Bitari explique que les réfugiés palestiniens déplacés de Syrie n’ont pas le même statut que les autres personnes qui ont fui le pays.

Les réfugiés palestiniens sont sous la responsabilité de l’UNRWA, qui n’a pas de mandat de protection comme l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés, l’UNHCR.

Le Liban, la Jordanie et la Turquie ont fermé leurs portes aux réfugiés palestiniens tout particulièrement. Et les réfugiés palestiniens apatrides qui possèdent seulement des documents de voyage et non des passeports ont été retenus dans les aéroports internationaux.

A cause de ces circonstances, des milliers d’entre eux ont pris le très grand risque de partir pour l’Europe dans des bateaux clandestins, et beaucoup y ont perdu la vie.

Ceux qui n’ont pas les moyens de donner des milliers de dollars à des passeurs n’ont plus beaucoup d’options à part la prostitution, le travail des enfants et l’enrôlement dans les milices, dit Wesam Sabaaneh, ajoutant que son association essaye d’offrir une véritable alternative.

La crise de l’UNRWA

95% des 480.000 réfugiés palestiniens de Syrie dépendent totalement de l’aide de l’UNRWA pour subvenir à leurs besoins de base alimentaires, sanitaires, d’hébergement, de santé et en eau, selon l’office.

Mais l’UNRWA traverse sa « plus grave crise financière de son histoire », a tweeté hier son porte-parole Chris Gunness.

L’office a tenu une session extraordinaire ce week-end pour « examiner le risque croissant que l’UNRWA soit amené à retarder le début de l’année scolaire dans environ 700 écoles accueillant 500.000 élèves à travers le Moyen-Orient » si le déficit de 101 millions de dollars n’est pas comblé avant le début de cette année scolaire, a indiqué l’office.

L’UNRWA a déjà réduit ses effectifs. Le service d’information de l’ONU a indiqué que « 85% des 137 membres du personnel international sous contrat temporaire quitteront l’agence progressivement d’ici fin septembre ».

« L’UNRWA prend cette mesure afin de réduire autant que possible les coûts sans pour autant réduire les services fournis aux réfugiés », a dit Chris Gunness, son porte-parole.

Lors de son discours au Centre Palestine, Nidal Bitari a mis en garde sur les conséquences de la fermeture des camps de réfugiés palestiniens en Syrie en expliquant que l’UNRWA est « bien la preuve internationale que nous existons ».

« S’il n’y a plus de camps et si la communauté internationale réduit le financement de l’UNRWA, nous serons littéralement apatrides, sans aucune preuve de notre situation ou de nos droits historiques en tant que Palestiniens chassés de notre pays pour devenir apatrides à travers le monde », a-t-il déclaré.

« Supposez que 500.000 Palestiniens aient quitté la Syrie pour être apatrides », a ajouté Nidal Bitari. « Nous essayons d’expliquer au monde qu’il devrait y avoir une solution pour les Palestiniens en Syrie ».

Traduction: E.C pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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