Forcés de laisser le raisin sur la vigne: les plaies ouvertes de mai 1948

Rami Almeghari – The Electronic Intifada – 14 mai 2015

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Al-Batani al-Sharqi, l’historien Ghazi Misleh – (Shadi Alqarra)

Chaque mois de mai est un retour au passé pour certains des Palestiniens les plus âgés. Musallam Younis Musallam est de ceux qui furent déplacés en mai 1948 et jamais autorisés à rentrer chez eux.

Musallam a grandi dans le village d’al-Batani al-Sharqi, à environ 30 kilomètres de Gaza. En mai 1948, le village est attaqué par les forces sionistes.

Les près de 6000 habitants sont forcés de fuir, et le village est totalement détruit. Musallam, alors âgé de 28 ans, s’en va à Maghazi dans la bande de Gaza, qui aujourd’hui accueille un camp pour les réfugiés palestiniens.

« Chaque fois que nous sortions, les tiges de maïs, sous lesquelles nous nous cachions, nous cinglaient le visage » dit Musallam à l’auteur d’un nouveau livre. « Nous avons mis nos bagages sur le dos d’un âne et moi, ma mère, mon père et mes frères, nous avons quitté le village. Nous avions entendu dire que les forces égyptiennes allaient venir défendre al-Batani al-Sharqi. Mais elles ne sont pas venues. »

Titré « Je suis d’ici et je me souviens », le livre encore inédit rappelle la souffrance des gens d’al-Batani al-Sharqi pendant la Nakba (le mot arabe pour Catastrophe), le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948.

Il est le résultat de deux années de travail par son auteur, Ghazi Misleh, qui habite Maghazi.

« Pas de temps à perdre »

La mère de Misleh, Um Ghazi, fait partie des survivants de la Nakba cités dans le livre. Dans son témoignage, elle décrit la cueillette des pastèques dans les fermes voisines d’al-Batani al-Sharqi, et celle des oranges de ses vergers. « Je me souviens des cantaloups mûrs et du raisin que nous devions laisser sur la vigne. » dit-elle.

« Quand je me rappelle ces jours-là, je me mets à pleurer. Nous sommes venus à Gaza, qui ressemblait à un désert. Je crois que les Israéliens n’avaient même pas imaginé qu’ils s’empareraient de nos terres. Nos terres sont les plus belles. »

Mudallalah Khalaf est morte en avril 2014, un mois après que Misleh l’a interviewée. Khalaf, qui a vécu jusqu’à 96 ans, dit avoir fait l’ « élevage de poulets et de lapins » à al-Batani al-Sharqi.

« Nous n’avions pas de temps à perdre mais nous n’avons jamais ressenti la fatigue » a-t-elle ajouté. « Nous avons été forcés de fuir nos cultures à cause des attaques israéliennes. Que Dieu se venge sur eux. »

Une forme de résistance

Misleh a parlé avec les membres de dix familles différentes durant sa recherche.

« Il m’est arrivé de passer des nuits sans dormir à chercher dans les livres d’histoire », a-t-il dit à The Electronic Intifada. « Je me suis rendu dans de nombreuses bibliothèques à Gaza. Malheureusement, je n’ai pas trouvé suffisamment d’informations détaillées. Je me suis appuyé sur les récits de personnes âgées. J’ai dû téléphoner à l’extérieur de Gaza, notamment en Jordanie, pour obtenir plus d’informations de la part de personnes âgées. »

Le livre contient des détails sur les aliments consommés, les vêtements portés et les jeux auxquels on jouait dans le village. « Entre autres desserts préparés dans le village, il y avait le bahta », dit-il. « Il est fait avec du lait et du riz, qui sont mélangés avec du sucre. Après, ces ingrédients sont bouillis ensemble et refroidis, et on ajoute un peu de beurre – sur le dessus. »

Misleh prévoit de publier son livre lui-même, avec l’apport financier d’un cousin qui vit dans les Émirats arabes unis.

Khaled Safi, professeur d’histoire arabe moderne à l’université al-Aqsa de Gaza, pense que de raconter les récits de Palestine est une forme de résistance au système d’apartheid d’Israël.

« Nous avons besoin d’un effort collectif national pour garder les traces de la Nakba » dit Safi. « Israël tente toujours d’effacer l’identité et la mémoire des Palestiniens. Et je crois qu’un tel travail collectif n’est pas moins important que toutes les autres formes de la lutte palestinienne. »

« Les livres de cette sorte sont importants » dit Misleh. « J’espère que les générations futures seront capables de rester attachées à leur histoire. »

« L’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens en 1948 doit rester présente dans nos mémoires. » ajoute-t-il. « Il ne faut jamais oublier. En tout cas, nous ne sommes pas prêts de renoncer à notre droit à rentrer dans nos foyers. »

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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