Témoignage: Passage éclair en Palestine occupée, par Meïssa et Tofayl

Lundi 27 avril, 14h30. Notre avion atterrit à l’aéroport de Ben Gourion, Tel Aviv, Israël. C’est le début de notre voyage tant attendu en Palestine. Voyage qui durera 24h, durant lesquelles nous ne verrons même pas la lumière du jour. Suite à six mois de préparation, de nombreuses réunions, des rencontres prometteuses, de beaux projets et surtout l’espoir de rencontrer enfin le peuple palestinien, notre voyage sera écourté après à peine plusieurs heures passées dans les cellules sionistes.

Après avoir traversé les longs couloirs de l’aéroport, dont les murs sont recouverts d’affiches publicitaires incitant au tourisme en Israël, l’une d’entre elle retient particulièrement notre attention : « Visit Israel : you will never be the same ». Après 24h passées à subir les pratiques arbitraires de cet état, le slogan a tenu sa promesse.

Nous nous retrouvons au passage de frontière et, sur recommandation de nos camarades étant déjà partis en Palestine auparavant, nous évitons les postes de contrôle tenus par des femmes, qui seraient plus arrogantes et plus strictes. Manque de chance, le soldat en civil derrière sa vitre prend sa pause et une femme soldat le remplace. Devant nous, une autre camarade faisant partie de la mission passe sans problème. Il n’en sera pas de même pour nous.

Sous les conseils de camarades et connaissances étant déjà partis en mission de solidarité, chaque membre du groupe doit déclarer tourisme comme motif du voyage. En effet, porter un nom à connotation arabe et avoir des opinions politiques constitue en soi un délit pour la « plus grande démocratie du Moyen Orient ». C’est pourquoi à la première question de la douanière : « Quel est le motif de votre voyage ? » nous répondons « tourisme ». Après quelques questions sur les liens nous unissant, on nous questionne sur nos origines, malgré nos passeports français : « Comment s’appellent vos parents ? », « Sont-ils nés en France ? » « Quand sont-ils arrivés en France ? », « Comment s’appellent vos grands-pères ? ».

Immédiatement après avoir répondu à ces questions, la douanière presse un bouton et saisit son téléphone pour appeler quelqu’un. Dix secondes plus tard, une personne emporte nos passeports et nous demande de la suivre. Pourtant, la troisième personne de notre groupe, dont ni le prénom ni le nom ne porte une connotation arabe, s’est vue délivrer immédiatement un visa. On nous installe dans une petite salle, où d’autres passagers attendent comme nous des nouvelles de leur passeport. Dix minutes plus tard, on vient nous chercher un par un. Un agent parlant un français parfait nous interroge : « Quel est le motif de votre séjour ? », « Etes-vous déjà venu en Israël ? », « Où allez-vous séjourner ? », « Notez sur ce papier vos numéros de téléphone et adresse mail », « Que faites-vous dans la vie ? » « Comment s’appellent vos parents et grands-parents ? », etc. Pendant ce temps, un autre agent prend note de nos dires sur un ordinateur. Puis, l’agent parlant français quitte la salle. Nous ne le reverrons pas, la suite de l’interrogatoire se fera en anglais.

On nous renvoie dans la salle d’attente, puis un colosse vient chercher le premier d’entre nous et l’emmène dans son bureau. Au mur, deux cadres de Netanyahou, le criminel international, un grand drapeau israélien, une carte du monde et une photo de Jérusalem. Sur le bureau, deux agrandissements de nos passeports. Le colosse israélien annonce la couleur : « On va être très clair avec toi : on sait que tu mens, donc si au bout de cet entretien tu n’as pas voulu coopérer, c’est retour direct chez toi ». Etant psychologiquement préparée, car ayant été prévenue des pratiques de déstabilisation des agents du renseignement, j’affronte sereinement le questionnement : « Pourquoi Israël et pas un autre pays ? Où allez-vous vous rendre en Palestine ? Qui connaissez-vous en Palestine ? On sait que vous connaissez quelqu’un à Gaza. Pourquoi voyagez-vous avec un seul téléphone pour trois ? ».

Nous avions décidé de prendre un seul téléphone pour trois, ce qui apparemment constitue en Israël un délit de terrorisme, car c’est sur ce point que l’agent de renseignement insiste fortement. Après avoir été insultée de menteuse, de malhonnête, m’être fait menacée et criée dessus, le bourreau change de victime. A son tour, elle subit les mêmes interrogations, la même humiliation, le même manque de respect. Pendant des heures, c’est un travail psychologique qu’on nous fait subir, on s’adresse à nous comme à des coupables, comme si nous étions des criminels dangereux. On nous ressasse sans cesse les mêmes questions : « Qui connais-tu en Israël ? », « Pourquoi es-tu ici ? ». Les deux agents de renseignements nous traitent comme des moins que rien : ils nous posent des questions puis ignorent nos réponses, nous disent « Shut up ! » quand ça leur chante, nous disent d’ouvrir la porte puis de la refermer aussitôt, nous chassent brutalement du bureau : « get out of here !!! », puis nous rappellent aussitôt, nous envoient se chercher l’un et l’autre en des temps records : « Tu as 10 secondes pour aller le chercher ! », nous humilient publiquement et crient nos prénoms dans l’aéroport comme si on appelait des chiens, et j’en passe…

A aucun moment nous n’avons perdu notre sang froid, et ce malgré les humiliations publiques et les provocations constantes. A l’instar des Palestiniens, nous avons gardé notre calme et appliqué la stratégie du Sumud (résistance non violente axée autour de l’idée de ténacité). Nous avions bien conscience, à chaque minute, que ce que nous subissions n’était rien comparé au quotidien des Palestiniens sous occupation.

L’un d’entre nous ayant beaucoup voyagé, on l‘accuse d’être un journaliste ou un espion. Après le harcèlement et la fouille du téléphone, ils passent aux adresses mails. On nous demande si nous avons déjà pris part à des actions militantes ou politiques : notre réponse est évidemment NON. C’est alors que l’agent nous montre des photos d’actions militantes de soutien à la Palestine. C’est à ce moment-là que nous avons compris que notre séjour allait tourner court. Bien qu’ils savaient pertinemment pourquoi nous étions là, ils ont continué leur jeu de déstabilisation dans le but de nous faire craquer et de pouvoir nous soutirer des informations. Nous sommes restés de marbre face à l’arrogance et à l’attitude méprisante des soldats.

Nous ne sommes pas dupes et nous rendons vite compte que les tailleurs et costumes que porte le personnel de l’aéroport n’est qu’une façon de mieux dissimuler l’uniforme militaire qui est en dessous. Rappelons qu’Israël est le seul pays au monde qui n’est pas régi par une constitution mais par des règles de droit militaire. Nous serons d’ailleurs contrôlés par des jeunes d’à peine dix-huit ans, qui, après avoir fouillé de fond en comble nos bagages nous ont palpés au corps, jusqu’entre les orteils et derrière les oreilles. Même au mur des salles de fouille les plus retirées de l’aéroport, des publicités touristiques ventent les plages de Tel Aviv. Au contraire, nous sommes confrontés à l’envers du décor, auquel sont confrontés tous les jours les Palestiniens.

Une femme arborant un grand sourire vient nous stipuler que nous faisons l’objet d’un avis d’expulsion et que l’entrée sur le territoire nous est refusée. Motif : prévention contre l’immigration illégale et danger pour la sécurité et l’ordre public de l’Etat d’Israël. Après huit heures de détention et d’interrogations, il est clair que nous sommes considérés comme des terroristes. Comble de tout, on nous demande de signer un papier reconnaissant l’ordre d’expulsion pour motifs de sécurité. Toutes les personnes à qui nous demanderons des détails nous répondront qu’ils n’en savent pas plus, qu’ils sont soi-disant désolés et qu’il s’agit d’une décision du Ministère de la Défense. Nous refusons donc de signer ce document. La pression psychologique qu’on nous a imposée pendant toutes ces heures vise clairement à intimider, décourager et dissuader les militants. C’est pourquoi nous encourageons toutes les personnes solidaires du peuple palestinien à continuer d’affronter l’arbitraire israélien pour tenter de se rendre en Palestine.

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Document d’expulsion pour motif de « danger pour la sécurité d’Israël »

Après avoir scellé nos bagages avec des étiquettes « security », on nous fait monter dans un fourgon blindé sans fenêtres, comme des assassins, sans nos affaires, sans même pouvoir observer où on nous emmène. Au plafond, un SOS inscrit avec du sang a séché. A nos côtés, une jeune femme en pleurs connait le même sort que nous.

On aura quand même pu poser le pied en Terre de Palestine, mais dans la cour du centre de rétention. Une prison qui arbore fièrement les drapeaux de l’Etat sioniste. Après nous avoir laissés prendre l’air dix minutes, ils mettent toutes nos affaires dans une consigne et nous enferment dans une cellule insalubre, dont les murs sont recouverts de messages dans toutes les langues. Heureusement, nous arriverons à inscrire quelques messages avec une bague. Les camarades qui passeront derrière pourront lire : Résistance ! Free Falestine ! Boycott Israël ! A cinq heures du matin, on nous fait sortir brutalement. Des agents qui ressemblent à des skinheads nous font monter dans une fourgonnette qui nous déposera directement sur la piste d’atterrissage. Nos passeports sont remis au pilote et on nous ordonne de nous installer sur les sièges au fond de l’avion. Stupeur ! A l’arrivée à Bruxelles, c’est la police fédérale belge qui nous attend devant la porte de l’avion pour un dernier contrôle. Après les avoir interpellés quant à leur collaboration avec l’Etat sioniste, ils nous répondent que, quotidiennement, des citoyens européens vivent la même expérience que nous. Au contraire, les « citoyens israéliens » sont accueillis les bras ouverts en Europe…

La touche finale de l’histoire, nous découvrons après avoir récupéré nos passeports qu’un tampon a été apposé dessus, mentionnant le refus d’entrée sur le territoire israélien. Une façon de nous faire comprendre que nos noms sont sur liste noire et qu’il n’est pas la peine pour nous de retenter l’entrée.

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Nous n’étions pas dupes et connaissions déjà avant de partir les pratiques arbitraires et violentes de l’Etat d’Israël, mais sommes stupéfaits de l’impunité avec laquelle ils expulsent de simples voyageurs, citoyens français, qu’ils considèrent comme des « dangers » simplement pour avoir un nom d’origine arabe et pour être du côté de la justice et du droit.

Jusqu’à quand les autorités françaises laisseront-elles leurs citoyens se faire humilier et expulser sans aucun motif légal ? Jusqu’à quand fermeront-elles les yeux sur les politiques racistes de cette entité militaire ? Et depuis quand être solidaires d’un peuple sous occupation s’apparente à du terrorisme ? Comme le disait Desmon Tutu, militant sud-africain contre l’apartheid : « Etre neutre face à une situation d’injustice, c’est être du côté de l’oppresseur ». Le silence de la France face aux injustices perpétrées par Israël s’apparente à de la collaboration. Les centaines de citoyens français ayant connu le même sort attendent que leur gouvernement réagisse et adopte des sanctions conséquentes.

Cette expérience n’a fait que renforcer notre détermination et notre engagement dans la lutte pour la justice et la solidarité avec le peuple palestinien. Nous remettrons les pieds sur une Terre libre du joug de l’occupant car la victoire est inéluctable : Palestine VIVRA ! Palestine VAINCRA !

Tofayl et Meïssa,
Association France Palestine Solidarité 59/62

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