Comment Israël parvient à intercepter les taxes douanières de la Palestine

Par Amal Ahmad, le 3 février 2015

Amal Ahmad (@Al Shabaka)
Amal Ahmad (@Al Shabaka)

Faisant son entrée dans la Nouvelle Année avec une tactique qui lui est familière, Israël a gelé quelque 127 millions de dollars de taxes douanières qui revenaient à l’Autorité Palestinienne (AP). Ces temps-ci, Israël use de représailles contre la demande formelle de la Palestine de rejoindre la Cour Criminelle Internationale. Précédemment, il a usé de représailles contre les tentatives de la Palestine de mener des actions contre les colonies, de former un gouvernement d’unité, et de demander à être membre à part entière des Nations Unies.

Ces mesures israéliennes, fermement condamnées par la communauté internationale, affaiblissent l’AP. Son budget repose largement sur les taxes d’importation, qui sont collectées (et contrôlées) par des douaniers israéliens avant d’être transférées aux Palestiniens. Les retenir a de sévères conséquences sur la santé et l’éducation dans les territoires occupés et des milliers de familles palestiniennes se retrouveront sans salaire ce mois-ci.

Cependant, condamner Israël sans faire référence aux intérêts stratégiques qui guident ses actions est insuffisant.. En réalité, la capacité d’Israël à intercepter les taxes douanières de la Palestine n’est qu’une manifestation de ses projets envers le peuple palestinien. Pour en comprendre les raisons, il est utile de passer rapidement en revue les arrangements commerciaux et financiers mis en place avant d’examiner les intérêts centraux israéliens qui les sous-tendent.

Jusqu’à 1994, lorsque Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ont signé le Protocole Economique de Paris, annexe économique des Accords de Paix d’Oslo, les militaires israéliens ont directement administré le commerce avec les territoires depuis leur occupation en 1967.

Le Protocole, loin de stimuler la paix et le partenariat israélo-palestiniens comme le prétendaient les discours, a en fait codifié la relation asymétrique entre l’occupation militaire israélienne et la population palestinienne occupée.

Le Protocole a transformé en loi les habitudes officieuses qui avaient été mises en place, soumettant presque entièrement les Palestiniens à la politique commerciale israélienne, et empêchant de plus en plus le développement de l’économie palestinienne, par l’érosion continue de sa base de production et par l’accroissement de sa dépendance aux importations et à l’aide.

L’union des douanes a également intensifié la dépendance de l’économie palestinienne au marché israélien : des taxes « internes » plus basses encouragent les commerçants palestiniens à importer des marchandises produites par Israël plutôt que venant du monde extérieur.

Combiné au fait qu’Israël rend exceptionnellement difficile l’importation de marchandises de Jordanie ou d’Egypte, ceci fait que 70 à 90 pour cent de toutes les importations palestiniennes viennent obligatoirement d’Israël ou passent par les ports israéliens.

L’arrangement commercial est fonction du droit exclusif d’Israël de collecter les taxes sur les importations, à la fois via les ports israéliens sur l’extérieur et par les carrefours « internes » avec les Palestiniens – ceci aussi représente une continuité depuis l’époque pré-Oslo codifiée par le Protocole. Et, là où les systèmes économiques s’arrêtent, le pouvoir militaire triomphe. Sur les carrefours restants où les Palestiniens ont le droit de collecter des taxes, Israël a sans cesse refusé d’autoriser la présence de douaniers palestiniens.

C’est par ces arrangements économiques que les taxes d’importation dues à l’Autorité Palestinienne passent par Israël avant d’atterrir dans les mains des Palestiniens… ou pas.

Via la dureté de ces mesures économiques, c’est l’agenda politique d’Israël qui pilote l’agenda économique des Palestiniens. Plus spécifiquement, l’intérêt d’Israël à avoir des frontières intérimaires se trouve au coeur de tous ses arrangements, y compris commerciaux et fiscaux, avec l’économie palestinienne.

En fait, le plus grand bénéfice de l’union douanière pour ses architectes israéliens a été l’ajournement à l’infini de la conclusion des frontières et le maintien des frontières intérimaires. Tout autre arrangement commercial aurait exigé , soit un tracé des frontières entre Israël et la Palestine, soit leur élimination complète. Le premier arrangement se traduirait par un Etat palestinien souverain, le dernier par un Etat binational intégré.

Très clairement, ces deux scénarios politiques sapent les intérêts stratégiques d’Israël. Par conséquent, sans tenir compte de l’aspect économique du sujet, tous les arrangements économiques sont mis hors débat, excepté celui qui n’exige ni frontières ni intégration : l’union douanière.

De la même façon, le contrôle d’Israël sur les taxes commerciales palestiniennes est le résultat concret du refus d’Israël d’accepter des frontières palestiniennes souveraines (la soi-disant solution à deux Etats), condition préalable à la collecte indépendante des impôts. C’est aussi la preuve de la répugnance d’Israël à envisager l’égalité des droits entre Palestiniens et Juifs, en Israël et dans les territoires qu’il contrôle (la solution à un Etat), qui intégrerait les dépenses publiques et éliminerait le besoin de séparer les taxes douanières.

En résumé, et l’union douanière et la pratique de collecte des taxes qui s’y rattache sont une suite logique des intérêts d’Israël à maintenir les Palestiniens et leur économie sans souveraineté et sans intégration.

En fait, c’est l’application d’une très cynique solution sans-Etat pour les Palestiniens occupés, solution devenue de plus en plus acceptable en Israël. Le Ministre israélien de l’Economie, Naftali Bennet, a récemment écrit un édito qui salue une construction sans-Etat pour les Palestiniens en tant que plan pour la paix.

Les USA et l’Union Européenne ont critiqué la décision d’Israël de geler les taxes. Cependant, ils feraient mieux de contester la plus large stratégie israélienne plutôt que de se focaliser sur les symptômes du problème et de ne voir que l’arbre qui cache la forêt.

Amal Ahmad est une membre politique de Al-Shabaka : Le Réseau Politique Palestinien.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source: The Hill

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