Des centaines de milliers d’enfants traumatisés par les bombardements après la guerre à Gaza

Par Robert Tait, ville de Gaza

28 janvier 2015

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Sayed et un groupe d’amis se sont retrouvés sous les tirs assourdissants d’un drone alors qu’ils jouaient au football sur la plage.

Sayed Bakr a survécu à un bombardement mortel de missiles pendant les jours les plus sombres de la guerre à Gaza.

Mais poser sous le portrait de son frère le plus proche, Mohammed, qu’il a perdu dans l’attaque, fut une épreuve trop dure. Après avoir voulu se tenir debout avec son portrait, le garçon de 12 ans s’effondra en appelant sa mère.

Sayed et ses amis ont été la cible de l’un des épisodes les plus déchirants de la guerre de l’été dernier à Gaza entre Israël et le Hamas. Alors qu’ils jouaient au football sur la plage, ils se sont retrouvés sous le feu d’un pilote israélien qui les a pris apparemment pour des combattants.

Quatre garçons de la famille Bakr sont morts sous cette frappe et quatre ont été blessés. Juste après, Sayed est resté paralysé de terreur, incapable de parler, hystériquement convulsé contre un mur.

Aujourd’hui, plus de six mois plus tard, il est l’un de ces centaines de milliers d’enfants de Gaza qui ont besoin d’un traitement post-traumatique.

Après ses crises de larmes, cauchemars et fréquentes explosions de violence, on lui a donné une série d’anti-psychotiques pour dérangement et stress post-traumatique (PTSD). Il ne va plus à l’école et souffre fréquemment de visions de l’explosion.

« Je rêvais que j’étais mort », a dit Sayed, qui parlait en hésitant dans le séjour de l’appartement spartiate de sa famille, situé à quelques centaines de mètres du lieu de l’attaque. « Je voyais toujours mes frères et mes cousins qui couraient derrière moi dans mon rêve. Quand les missiles ont frappé et que nous étions en train de fuir, j’étais sûr que nous allions tous mourir. Même aujourd’hui, j’ai tout le temps peur. Chaque fois que j’entends un bruit fort ou un bang, je suis terrorisé.

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Cette photo est sortie montrant les quatre garçons palestiniens qui courent sur la plage à Gaza, quelques instants avant qu’ils soient tués par un obus israélien (mosaabelshamy)

Il n’est pas le seul. A Gaza, on ne manque pas d’histoires d’enfants gravement traumatisés, toujours dans l’étau des effets consécutifs à la guerre. Le conflit de 50 jours a causé la mort de 539 enfants et des blessures à près de 3.000, mais selon les nations Unies, les cicatrices mentales ont été aussi dévastatrices, bien que plus difficiles à quantifier.

Les enfants qui ont vu leurs proches ou leurs parents tués, souvent de façon macabre, sont restés frappés et, selon Hasan Zeyada, psychologue du Programme de Santé Mentale de la Communauté de Gaza, 35 à 40 pour cent du million d’enfants de Gaza souffrent de choc consécutif aux bombardements.

Mercredi, une association israélienne de droits de l’Homme a dit que les dirigeants politiques et militaires israéliens ont enfreint la législation internationale en continuant à bombarder les logements des civils, même après qu’il soit devenu évident que cela tuerait des milliers de gens innocents.

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Sayed Bakr photographié chez lui (ROBERT TAIT)

L’Unicef admet qu’elle manque de moyens pour faire face. « Nous estimons que 373.000 enfants de Gaza ont besoin d’aide psycho-sociale après la guerre », a dit Pernille Ironside, directrice du bureau local de Gaza de cette agence. « Nous avons pu suivre environ un tiers de ces enfants. Les deux autres tiers ont encore besoin d’aide – et ils ne l’ont pas. »

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Eyad Habib, 5 ans, debout devant la maison de sa famille, en route pour l’école (ROBERT TAIT)

La perspective est sinistre, même pour ceux qui reçoivent de l’aide.

Muntaser Bakr, 11 ans, cousin de Sayed, blessé à la tête, au bras et au dos dans l’attaque sur la plage qui a tué Zacharia son frère de 10 ans, a également été diagnostiqué comme souffrant de PTSD alors qu’il est de manière évidente dans un état encore pire.

Des médicaments prescrits qui coûtent 66 £ – lourd fardeau pour sa famille appauvrie – sont nécessaires pour maîtriser des ajustements périodiques et ses convulsions nerveuses.

Des semaines après l’événement, Muntaser a essayé de sauter depuis le balcon de l’appartement familial au premier étage, tentant apparemment de se suicider après une promenade en barque avec son père, Ahad, qui a pu le retenir juste à temps.

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Muntaser Bakr, blessé pendant le bombardement sur la plage de Gaza, et maintenant sous lourd traitement médical pour contrôler ses convulsions nerveuses (ROBERT TAIT)

Selon M. Bakr, 55 ans et pêcheur, comme presque tous les hommes de la famille, on a dû le retirer de l’école après qu’il ait « presque tué un garçon » de sa classe. Les tendances violentes ont continué à la maison, culminant lorsqu’il a essayé de pendre la fille de quatre ans de l’un de ses frères aînés.

« Je meurs 100 fois par jour rien qu’à le voir ainsi », a dit M. Bakr, alors que Muntaser bougeait nerveusement près de lui avec ses deux nounours. « Ce n’est plus le même enfant. Il n’obéit à rien de ce que nous disons. S’il veut quelque chose, il le réclame même si cela affecte les autres. Pendant quelques temps, il a dit qu’il voulait devenir un combattant afin de pouvoir venger la mort de son frère et de ses cousins. Il ne le dit plus maintenant et je ne veux pas le lui rappeler. »

Alors que beaucoup de garçons touchés par le carnage de l’été dernier ont recours à la violence, chez les filles, les traumas se traduisent souvent par un comportement de repli et de dépression.

La petite Sara Kudaith de dix ans est toujours hantée par la mort de son jeune frère, Anas, mort d’hémorragie après avoir été blessé pendant le bombardement de la ville de Khurza’a, près de la frontière de Gaza avec Israël.

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Sara Kudailh pose devant une photo de son plus jeune frère, Anas, dont elle a été témoin des affres de l’agonie (ROBERT TAIT)

La famille a été obligée de fuir sous une pluie de missiles, laissant le petit Anas de sept ans par terre avec une terrible blessure au ventre, scène d’horreur dont Sara fut le témoin et filmée par un paramédical du Croissant Rouge arrivé des heures plus tard pour trouver le garçon mourant.

Aujourd’hui, c’est une enfant apeurée, introvertie, qui refuse de manger et de faire ses devoirs, alors qu’elle était auparavant une excellente élève selon ses parents.

Si on lui, demande comment elle se sent, elle répond : « Triste. J’ai perdu mon frère. Il a été tué. »

Des spécialistes ont recommandé 12 séances de thérapie intensive pour traiter le PTSD de Sara. Même ainsi, elle n’est susceptible de récupérer que 70 pour cent , selon Mahmoud Abdul Aziz Abu-Toaima, psychologue du Centre Palestinien pour la Démocratie et la Résolution du Conflit.

Elle fait partie des chanceux. Diana et Mohammed Ayad se sont retrouvés orphelins après que leur mère veuve ait été tuée durant le bombardement de Shejaiya, faubourg de la ville de Gaza, alors que la famille essayait d’évacuer leur maison.

Aucun des deux enfants n’a eu de constat ou de soutien psychologique, alors que, selon leurs proches, ils souffraient de problèmes de santé mentale, en plus de blessures physiques qui ont laissé Diana, 15 ans, avec la nécessité d’une large greffe de peau, et Mohammed, 10 ans, avec un orteil amputé.

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Vue de Shejaiya, un des faubourgs de Gaza Cité, très lourdement bombardée pendant la guerre (ROBERT TAIT)

Diana, qui avait souhaité devenir médecin, ne va plus à l’école et reste confinée à cause de ses blessures dans le logement familial ravagé par le bombardement.

« Je me sens très mal psychologiquement à cause de cet événement et je souffre énormément de mes blessures à la jambe », dit elle. Je ne suis pas heureuse d’avoir survécu. J’aurais voulu mourir. »

Tout ceci prend place devant un décor de paysage de nulle part fait de bâtiments et d’infrastructures en ruine – avec les 3 milliards 300 millions promis après le conflit pour l’effort de reconstruction et qui n’ont toujours pas fait surface. Shejaiya, scène de quelques unes des pires violences, offre presque le même aspect fracassé que l’été dernier immédiatement après l’offensive au sol d’Israël.

C’est ce qui provoque la vision sinistre des professionnels de santé mentale qui craignent une « génération perdue » d’enfants de Gaza.

« La guerre récente a surpassé le nombre total des morts et blessés de tous les conflits précédents et l’impact qu’elle a sur les enfants de Gaza et leur avenir ressemble à un désert », a dit Mme Ironside de l’Unicef. « Ici les adolescents ont un risque énorme de perdre espoir et nous faisons face au danger de perdre toute une génération de gamins qui décident qu’ils n’ont rien à perdre et peuvent se retrouver impliqués dans des activités combattantes. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Telegraph.co.uk

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