La CIA se rapporte à une décision de la Cour israélienne pour « justifier » un programme de tortures

Rania Khalek – mercredi 10 décembre 2014

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Valeurs partagées : les USA et Israël utilisent les mêmes arguments pour « défendre » les violations des droits de l’homme. (Photo officielle de la Maison-Blanche)

La CIA a cité à plusieurs reprises une décision de la Haute Cour de justice israélienne pour justifier la torture, selon un rapport longtemps attendu du Sénat des États-Unis sur le programme de tortures de l’agence.

Cette dernière révélation tombe juste quelques mois après celle de l’administration Obama disant s’appuyer sur une décision de la Haute Cour israélienne pour justifier les assassinats ciblés, sans procès, de citoyens américains.

Publié mardi par la Commission permanente du Sénat sur le Renseignement, après des mois de blocage, le rapport de près de 600 pages révèle de nouveaux détails sur les atrocités commises dans le réseau de restitution et sur les sites de tortures créés à la suite des attentats du 11 Septembre 2001.

Les techniques de tortures de la CIA – qui comprennent la simulation de noyade, la privation de sommeil et la privation sensorielle, les tortures sexuelles, les menaces de mort et de viol sur des proches, le simulacre d’exécution, d’électrocution, et l’ « alimentation rectale » – ces techniques étaient beaucoup plus horribles et répandues que l’agence le prétend.

En outre, le rapport indique explicitement que la CIA a menti à propos de l’efficacité du programme de tortures, prétendant faussement que ses techniques réussissaient à obtenir des informations qui contrecarraient des complots terroristes, citant notamment une attaque fomentée « en Arabie saoudite contre Israël ».

Alors que la CIA s’était engagée dans une campagne de propagande mensongère afin d’abuser l’opinion américaine sur la légalité et l’efficacité du programme, elle s’appuyait sur un précédent israélien comme défense juridique.


Comment légaliser la torture

Dès début novembre 2001, les dirigeants de la CIA ont commencé à rechercher les justifications juridiques possibles pour les techniques de tortures qu’ils utilisaient déjà sur des sites obscurs à travers le monde, aboutissant à un projet de mémorandum décrit comme suit par le rapport du Sénat :

« Le 26 novembre 2001, des avocats du bureau du Conseil général de la CIA ont fait circuler un projet de mémorandum juridique décrivant l’interdiction pénale de la torture et une défense juridique « originale » potentielle pour les agents de la CIA qui s’étaient livrés à la torture. Le mémorandum déclare que « la CIA peut faire valoir que la torture est nécessaire pour prévenir un mal imminent, important, physique, sur des personnes, quand il n’y a aucun autre moyen disponible pour l’empêcher », ajoutant que « les États pourraient être très réticents à reprocher la torture aux USA quand cela aboutit à sauver des milliers de vies » ».

Selon la note correspondante, le mémo de Novembre « cite « l’exemple d’Israël » comme base possible pour faire valoir que « la torture est nécessaires pour prévenir un mal imminent, important, physique sur des personnes, quand il n’y a aucun autre moyen disponible pour l’empêcher » ».

L’ « exemple israélien » a été invoqué à nouveau l’année suivante dans un mémorandum officiel au bureau à la Maison-Blanche du Conseil juridique au Président, le 1er août 2002, lequel « inclut une analyse identique de la « défense de nécessité » en réponse aux accusations possibles de torture ».

Les échappatoires israéliennes

L’ « exemple israélien » est une référence à une décision de 1999 de la Haute Cour israélienne censée interdire l’usage de la torture – l’euphémisme israélien pour « pression physique modérée » – afin de soutirer des aveux aux prisonniers palestiniens, une pratique de longue date et généralisée jusqu’alors. Le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem avait salué la décision à l’époque, déclarant qu’elle était une victoire de la démocratie.

En réalité, la décision était truffée d’échappatoires manifestes et ne faisait que limiter les cas où les techniques de tortures pouvaient être utilisées. (La Haute Cour de justice d’Israël est aussi sa Cour suprême).

Jusqu’à maintenant, la torture israélienne des prisonniers palestiniens reste généralisée et aucun Palestinien n’en est à l’abri, pas même les enfants qui sont systématiquement soumis à l’isolement, à la privation sensorielle et à des positions douloureuses dans les prisons israéliennes.

L’hiver dernier, la cruauté israélienne a atteint un nouveau sommet quand les services pénitentiaires ont mis des enfants palestiniens détenus dans des cages, à l’extérieur, pendant l’une des pires tempêtes hivernales qui ait sévi dans la région depuis des années.

Comme le Comité public contre la torture en Israël (PCATI) l’a fait valoir, rien n’a beaucoup changé depuis la décision de 1999, en grande partie à cause de l’inclusion de la « défense de nécessité » – une échappatoire qui immunise les interrogateurs utilisant les techniques de tortures contre le risque d’être tenu pénalement responsable par l’argument qu’ils ont agi par « nécessité », pour empêcher la perte d’une vie humaine ou de lui nuire.

De telles échappatoires ont abouti à une impunité absolue des tortionnaires israéliens. Sur les plus de 800 plaintes contre des tortures subies par des prisonniers palestiniens depuis 2001, ce sont exactement zéro qui ont conduit à des enquêtes pénales alors que l’État corroborait au moins 15 % des allégations de tortures, selon PCATI.

Il est aussi à noter que même les méthodes de la CIA que révèle le rapport du Sénat présentent une similitude avec les vieilles techniques de tortures israéliennes documentées par les organisations des droits de l’homme, notamment la privation de sommeil, l’exposition à un froid extrême, l’isolement dans des espaces exigus et des « positions douloureuses ». Ce sont des techniques censées infliger un maximum de souffrance tout en minimisant le risque de signes suspects de tortures sur le corps des victimes.

La fiction d’une bombe à retardement

Curieusement, même des libéraux anti-torture notables ont été dupés en croyant qu’Israël interdisait la torture.

La juge de la Cour suprême des États-Unis, Ruth Bader Ginsburg, s’est rapportée à la décision de la Haute cour israélienne sur la torture comme à une interdiction exemplaire que les États-Unis devraient imiter.

« La police pense qu’un suspect qu’elle a appréhendé sait où et quand une bombe est sur le point d’exploser », a déclaré Ginsburg au New York Times. « La police peut-elle utiliser la torture pour obtenir cette information ? Et dans une décision éloquente d’Aharon Barak, alors juge en chef d’Israël, la Cour déclare : « La torture ? Jamais » ».

Selon Ginsburg, la décision israélienne envoie le message « que nous ne pourrions donner plus grande victoire à nos ennemis que d’en arriver à leur ressembler dans notre mépris pour la dignité humaine ».

L’approche de Ginsburg de la décision israélienne est tout aussi erronée que son portrait raciste d’un « ennemi » palestinien manquant de « dignité humaine ».

Loin d’interdire complétement la torture, la décision israélienne prévoit justement une exemption pour le scénario hypothétique envisagé par Ginsburg.

Dans le cas du scénario d’une « bombe à retardement », la décision israélienne stipule que « la défense de nécessité » laisse à la discrétion des interrogateurs l’usage de la torture pour extirper des informations afin d’arrêter le déclenchement d’une explosion.

Il convient de noter que même le rapport du Sénat concède que la « bombe à retardement » si souvent invoquée par les fervents de la torture n’a en réalité aucun fondement.

Et quand bien même, car l’article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants stipule : « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. »

Se tourner vers Israël comme exemple

Dans une tentative désespérée pour garder en vie le programme de tortures au milieu des pressions grandissantes (quoique faibles) du Congrès, en 2005 un responsable de la CIA s’est tourné une fois encore vers Israël comme un exemple et une logique juridique :

« L’avocat de la CIA a relevé des similarités « frappantes » entre le débat public qui entoure l’amendement McCain (qui propose d’interdire la torture) et la situation en Israël en 1999, où la Cour suprême israélienne a « jugé que plusieurs … techniques pouvaient être tolérées, mais qu’elles requéraient une certaine forme d’autorisation législative », et que le gouvernement israélien « avait finalement obtenu une autorité législative limitée pour quelques techniques spécifiques ». »

La note correspondante ajoute :

« L’avocat de la CIA a décrit aussi le précédent israélien en ce qui concerne la « défense de nécessité » qui avait été invoquée par les avocats de la CIA et le Département de la Justice en 2001 et 2002. L’avocat de la CIA écrit que la Cour suprême israélienne « a également examiné spécifiquement le scénario de la « bombe à retardement » et déclaré que des techniques renforcées ne pouvaient être préalablement approuvées pour de telles situations, cependant si le pire venait encore à empirer, un agent qui se livrerait à de telles activités pourrait faire valoir une défense de nécessité selon le droit coutumier, si jamais il était poursuivi ». »

Cette suggestion a été adoptée dans un mémorandum du 20 juillet 2007 rédigé par le premier substitut du procureur général d’alors, au Bureau juridique, Steven G. Bradbury, qui mettait en avant que d’après le dossier de la Cour israélienne, la torture de la CIA est « clairement autorisée et justifiée par l’autorité législative. »

Un partage de valeurs

Nul ne s’étonnera que les États-Unis suivent l’exemple d’Israël sur la torture étant donné que chacune de ces deux nations se nourrit des atrocités de l’autre.

Quand les prisonniers palestiniens ont lancé une grève de la faim, plus tôt cette année, pour protester contre leur détention sans limite, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a tenté de faire passer à la Knesset, le parlement d’Israël, un projet qui permettrait de nourrir les prisonniers de force. D’après les groupes de défense des droits de l’homme, l’alimentation forcée relève d’un châtiment cruel et inhumain.

Afin de justifier sa demande pour la mise en œuvre de cette technique atrocement douloureuse, par laquelle on pousse un tube dans une narine jusque dans l’estomac, Netanyahu a mis en avant les alimentations forcées pratiquées par les États-Unis à Guantanamo Bay.

Quand il s’agit de torture, peu de gens comprennent mieux les valeurs partagées qui unissent les États-Unis et Israël que Rasmea Odeh.

Cette militante palestino-américaine de 67 ans a été déclarée coupable le mois dernier de fraude à l’immigration pour avoir omis de révéler une condamnation en 1969 par le tribunal militaire israélien sur la base d’aveux arrachés par Israël après des semaines de tortures sexuelles.

Sur l’ordre du Département de la Justice de l’Administration Obama, le juge au procès a interdit au jury d’entendre les témoignages sur les tortures d’Odeh, protégeant, et finalement légitimant, le système israélien de violations. En attendant, Odeh a été soumise à de nouvelles tortures, et cette fois entre les mains du gouvernement US qui l’a placée en isolement pendant douze jours consécutifs, sans raison apparente, jusqu’à ce qu’un juge ordonne lundi qu’elle pouvait être libérée sous caution.

Si la profondeur de la connivence entre les programmes de tortures américains et israéliens reste encore à être exhumée totalement, il y a des raisons pour soupçonner que certaines méthodes américaines ont été modelées sur celles d’Israël.

Depuis les attentats du 11 Septembre 2001, les États-Unis ont façonné une grande partie de leur stratégie de l’antiterrorisme sur la répression par Israël, vieille de plusieurs décennies, de la résistance palestinienne à ses ambitions coloniales.

Inventés par Israël contre les dirigeants palestiniens, les assassinats ciblés extra-judiciaires sont désormais une pièce maîtresse de la politique antiterroriste de l’Administration Obama.

Comme pour sa politique d’assassinat ciblé, Israël a passé des décennies à perfectionner ses techniques de tortures sur les prisonniers palestiniens, techniques élaborées pour maximiser la souffrance tout en ne laissant que peu de traces visibles sur les corps.

Alors, à quel point Israël a-t-il influencé la CIA ? On pourrait peut-être trouver la réponse dans le rapport original du Sénat sur la torture, de 6000 pages, toujours classé, et sur lequel se base la publication de mardi. On est en droit de se demander ce qui a été exclu du dossier public.

Source: The Electronic Intifada

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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