« Faire passer l’apartheid par la porte de derrière », par Naaman Hirschfeld

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Na’aman Hirschfeld – Ha’aretz – 20 novembre 2014

Les conditions sont remplies pour que l’apartheid racial qu’Israël a graduellement imposé sur les territoires depuis 1967 se montre au grand jour.

Le 5 novembre 2014, Naftali Bennet a publié un article d’opinion intitulé « Pour Israël, deux États, ce n’est pas la solution » dans le New York Times, affirmant qu’ « Israël ne peut pas se retirer de plus de territoire et qu’il ne peut pas autoriser la création d’un État palestinien en Cisjordanie ». À la place, selon Bennet, Israël doit contrôler toute la Cisjordanie, en créant des fragments d’une Autonomie palestinienne améliorée, à qui il « manquera un État », qui ne sera pas autorisée « à contrôler ses propres frontières ni… à avoir une armée. » Même si en Israël, cette publication est passée relativement inaperçue, elle fut un acte capital, où commence à se lever publiquement le masque de la solution unilatérale israélienne ; où s’étale au grand jour un système d’apartheid qui a évolué pendant une longue période, mais qui l’a fait en incrémentant et d’une manière qui a permis à ceux au pouvoir de nier sa réalité.

En Afrique du Sud, l’apartheid a été publiquement visible dès son début, en tant qu’idéologie officielle de l’État, à la base de sa législation, de sa politique et de son action. En Israël par contre, l’apartheid a été développé d’une manière qui a masqué sa nature, utilisant l’imposition de la loi martiale et du contrôle militaire sur la population palestinienne, pour créer une séparation géo-sociale et physique entre Israéliens et Palestiniens, tout en facilitant simultanément la saisie et la colonisation de la terre palestinienne.

Pour la plupart des Israéliens, comme pour de nombreux observateurs internationaux, cet apartheid est invisible, et cela parce que le premier et principal but de ce système est de réduire la présence palestinienne à l’intérieur de l’espace israélien – géographiquement, socialement, juridiquement, économiquement et culturellement. Ses répercussions sont, de par leur nature, presque transparentes en Israël : elles se produisent ailleurs : en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, dans des zones à l’intérieur desquelles la plupart des Israéliens ne s’aventurent jamais et où, en fait, ils ne sont pas souvent autorisés à pénétrer. Les colons israéliens qui habitent dans ces zones, que ce soit par engagement idéologique ou sur incitations économiques du gouvernement, de même que les forces militaires, le personnel gouvernemental, les organisations à but non lucratif, et les firmes commerciales qui y opèrent, tous sont en train, activement et agressivement, d’imposer cet apartheid comme une « réalité sur le terrain ».

C’est effectivement la caractéristique propre à cet apartheid : plutôt que d’être une idéologie fondatrice de l’État, c’est un appareil qui apparemment lui est extérieur – un système de facto d’oppression et de ségrégation qui est totalement non exprimé dans une rhétorique officielle et dans presque tous les médias israéliens. Bien que cet apartheid se soit développé et ait été structuré par la politique de pratiquement tous les gouvernements israéliens depuis 1967, il se manifeste principalement dans la praxis. Ceci permet aux citoyens, et pareillement aux politiciens, de nier son existence (même pour eux-mêmes). Après tout, aucun gouvernement israélien n’a jamais affirmé publiquement avoir opté pour un « apartheid », et le système qui le fait exister est décousu, composé de nombreux éléments différents qui agissent à l’unisson mais pas sous l’égide d’une directive officielle d’une quelconque entité, ou du gouvernement.

C’est maintenant en train de changer. Deux jours après que Bennet eut publié son article, le gouvernement approuvait un projet de loi qui étend le droit civil israélien automatiquement aux colonies (les colons sont déjà soumis au droit civil) et ainsi, il étend officiellement la compétence civile de l’État sur la Cisjordanie, laquelle, en tant que territoire occupé, est actuellement régie par la loi martiale. Parallèlement à cette action de territorialisation, qui vise à abolir la distinction entre occupé et non occupé, les bases démocratiques et laïques de l’État se trouvent menacées par la « loi fondamentale pour un État-nation juif », que le Premier ministre Netanyahu a juré de faire passer le plus tôt possible.

La première clause de cette loi stipule : « a) L’État d’Israël est le foyer national du peuple juif dans lequel celui-ci réalise son aspiration à une autodétermination conformément à son patrimoine culturel et historique ; b) La réalisation de son auto-détermination nationale dans l’État d’Israël est un droit exclusif du peuple juif ; c) La Terre d’Israël est la patrie historique du peuple juif et le lieu de l’établissement de l’État d’Israël ». Elle affirme en outre l’importance de « la tradition juive en tant que source d’inspiration » dans la législation, elle rétrograde la langue arabe de langue officielle à langue de second ordre, et elle fixe les « bases de la liberté, de la justice et de la paix envisagées par les prophètes d’Israël » comme une caractéristique déterminante de l’État à côté de la démocratie.

Éradication des Palestiniens

Si ce projet devient loi, celle-ci obligera la Cour suprême à accorder dans ses décisions jurisprudentielles plus de poids à l’élément juif qu’à l’élément démocratique dans tous les cas où il y aura conflit entre les deux, en réduisant le pouvoir judiciaire et en supprimant les principaux contrôles et équilibres qui ont efficacement empêché la promulgation d’un apartheid de droit à travers des actions législatives et exécutives. La partialité contre les Palestiniens citoyens d’Israël serait ainsi exacerbée radicalement (Palestiniens désignés par euphémisme en Israël sous le nom d’ « Arabes israéliens »), tout en introduisant le déni de la revendication des Palestiniens à une patrie et de leur droit à l’autodétermination dans le fondement juridique de l’État d’Israël lui-même ; en insérant l’éradication de la Palestine et des Palestiniens dans la législation du pays, tout en rendant possible d’étendre l’État sur l’ensemble du territoire de la terre d’Israël/Palestine.

Il y a peu d’espoir pour ceux qui souhaitent bloquer ce processus. Le discours politique en Israël est si puissamment contrôlé par le droit, que ce gouvernement – qui est le plus à droite de l’histoire israélienne – est souvent critiqué, publiquement, pour être de gauche. Même si la coalition au pouvoir devait s’effondrer, ce qui semble vraiment possible, le nouveau gouvernement serait, très probablement, encore plus à la droite extrême, avec les deux prétendants réels à la fonction de Premier ministre, Netanyahu et Bennet.

Bien que la montée de l’extrême droite en Israël soit restée en gestation pendant de nombreuses années, un développement qui s’est notablement accéléré depuis l’Opération Plomb durci, l’année passée a vu un glissement à droite de la politique israélienne et de la société dans son ensemble. Ce ne fut pas simplement le résultat d’évènements qui s’étaient produits, ni de conditions qui avaient mûri, mais plutôt celui d’actions intentionnelles visant à introduire cette réalité même.

Si l’initiative israélienne pour mettre fin aux négociations de paix en avril fut importante, elle fut surtout symbolique car, dès le départ, ces négociations furent une imposture. La politique de colonisation qui a été initiée par le premier gouvernement Netanyahu (1996-99), et poursuivie depuis, a rendu la solution à deux États non viable. Le seul examen de la répartition géographique des colonies fait comprendre de manière tout à fait claire que sans l’évacuation forcée d’un nombre énorme de colons de Cisjordanie, la formation d’un réel État palestinien est impossible, et une telle évacuation est devenue une impossibilité une fois qu’Ariel Sharon n’a plus été Premier ministre (2006).

La façade du « processus de paix » s’est finalement effondrée il y a cinq mois, quand l’enlèvement de trois adolescents juifs israéliens a été cyniquement utilisé par le gouvernement pour fabriquer une guerre. Alors que les services de sécurité israéliens savaient parfaitement que les adolescents étaient décédés, le gouvernement a prétendu faussement qu’ils étaient en vie. Ceci pour justifier la transformation des recherches en une opération militaire à grande échelle contre le Hamas, générant une spirale d’escalades qui finalement servirent de cause officielle à la guerre. Cela fut aussi utilisé en même temps comme une excuse afin de conduire une véritable campagne de propagande destinée à façonner l’opinion publique et l’expérience collective en instillant un faux sentiment d’espoir et de solidarité avec les familles des jeunes enlevés – une campagne à laquelle les médias israéliens participèrent de leur plein gré. Comme prévu, quand les corps furent finalement trouvés, ce faux espoir se trouva anéanti, transformé en une douleur et une indignation collectives, et donnant naissance à une vague de haine raciale sans précédent qui balaya Israël. La mise à mort de Mohammad Abu Khdeir, brûlé vif, et les grandes manifestations palestiniennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie qui en résultèrent dans le contexte de l’escalade des bombardements des FDI de Gaza et des tirs de missiles par le Hamas, tout cela servit à galvaniser l’opinion, canalisant le désir public des Israéliens de se venger en justification de guerre.

Bien que la guerre se soit terminée mi-août, fin septembre il devenait évident que le gouvernement israélien était en train d’essayer de provoquer une Intifada à grande échelle avec des mesures agressives à Jérusalem-Est, au Mont du Temple et en Cisjordanie. Dans le même temps, une guerre médiatique d’envergure était lancée contre l’Autorité palestinienne – attribuant la responsabilité de l’escalade de violence à Mahmoud Abbas, tout en provoquant, en réalité, plus d’agitation pour plus de violence encore. C’est une manœuvre de fin de match : le gouvernement israélien a fermé la porte aux négociations et finalement, il a fait la preuve qu’il n’y avait vraiment « aucun partenaire pour la paix », provoquant une situation où n’existe plus de solution, seulement une résolution.

Une course a démarré : alors que l’Autorité palestinienne tente de parvenir à un État, au moins sur le papier, avec la reconnaissance des Nations-Unies qu’elle est un État – un effort qui a déjà acquis une forte impulsion, le gouvernement israélien est en train de manœuvrer pour créer une réalité qui videra tous ces efforts de leur signification, dissolvant au bout du compte les derniers vestiges des Accords d’Oslo, en amenant dans son intégralité la Cisjordanie sous le contrôle israélien, en reléguant les Palestiniens dans des territoires semi-autonomes qui ressembleront en tout aux « bantoustans » d’Afrique du Sud, sans en avoir le nom. Bien qu’il y ait une chance que cette manœuvre échoue, il y a aussi une bonne chance pour qu’elle réussisse. Depuis que les gouvernements israéliens ont prouvé à maintes reprises que « les faits sur le terrain » sont très difficiles à changer, et étant donné la possibilité distincte que l’équilibre changeant des puissances mondiales fortifiera Israël de façon spectaculaire en tant qu’allié irremplaçable de l’Occident, la promulgation réussie de l’apartheid reportera indéfiniment la création d’un État palestinien, et elle déplacera le lieu du conflit et de l’oppression, depuis les territoires occupés, jusqu’au cœur même de la société israélienne. Ceci est la fin du sionisme, son résultat ultime – un État juif qui incarne la logique de l’antisémitisme.

Source: Haaretz

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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