L’Allemagne a fait des Palestiniens « des victimes indirectes de l’Holocauste » dit l’auteur Max Blumenthal

Par Emran Feroz, The Electronic Intifada, le 14 novembre 2014

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La chancelière allemande et le premier ministre israélien se sont rencontrés en février à Jérusalem avec les membres de leurs cabinets.
(Saeed Qaq / APA images)

Quand Gaza a été attaquée cet été, Angela Merkel a promis de «se tenir aux côtés d’Israël». La chancelière allemande a fait beaucoup plus que cette offre verbale pour soutenir les crimes d’Israël. Sous sa conduite, le gouvernement de Berlin a équipé Israël avec des sous-marins qui, dit-on, transportent des armes nucléaires.

Quelques politiciens allemands ont essayé de museler le débat sur Israël en dénonçant ceux qui le critiquaient comme « antisémites ». Le journaliste américain Max Blumenthal – l’auteur de Goliath : Vie et Abomination dans le Grand Israël – a affronté ce type de diffamation au cours d’une récente tournée de conférences en Allemagne.

Un certain nombre d’élus prétendirent qu’une causerie programmée au théâtre de Berlin par Blumenthal et son confrère David Sheen servirait à « promouvoir un préjugé antisémite ». C’était vraiment risible : Blumenthal ainsi que Sheen sont eux mêmes Juifs. Les politiques qui les dénonçaient ne purent produire aucune preuve de leur hostilité envers leurs semblables juifs.

Blumenthal s’entretint avec Emran Ferroz à Stuttgart.

Emran Feroz : Vous avez été récemment le témoin des destructions causées par israël à Gaza. Quelles scènes vous ont le plus impressionné ?

Max Blumenthal : On devait effectuer des opérations en urgence sur des fauteuils de dentiste, pendant qu’il fallait coucher des cadavres d’enfants dans des bacs à glace, originellement prévus pour des crèmes glacées. Voilà probablement les témoignages les plus choquants que j’aie entendus.

EF : Peu de temps après votre voyage à Gaza, vous avez commencé à utiliser le hashtag #EJIL (Etat Juif d’Israël au Levant) sur Twitter. Faire ce genre de comparaison entre le groupe Etat Islamique et Israël est tabou en Allemagne. Pourquoi osez vous le faire ?

MB : C’est étrange qu’en Allemagne, vous mettiez sur le même plan l’EI et le Hamas ou que vous décriviez le mouvement national palestinien tout entier comme « les héritiers des Nazis », alors que ma comparaison représenterait un tel outrage. Ce n’était pas une comparaison à égalité, mais je voulais montrer du doigt l’hypocrisie qu’il y a à soutenir un Etat à caractère religieusement exclusif qui chasse les minorités de son territoire alors qu’il en attaque un autre.
EF : Mais en utilisant ce hashtag, vous devez bien suggérer qu’Israël et l’EI sont en quelques sorte similaires.

MB : Bien sûr, ils le sont. L’ « Etat juif » n’ a pas de frontières internationalement reconnues. La même chose s’applique à l’ « Etat Islamique ».

Tous les deux sont apparus après que la population indigène d’origine ait été partiellement expulsée et ethniquement nettoyée. Dans le cas d’Israël, c’était la population indigène palestinienne ; dans le cas de l’EI, il s’agissait des chrétiens, des Yazidis ou des musulmans chiites. Les deux « pays » s’appuient sur une exclusivité religieuse au Levant. Et tous les deux pensent qu’ils représentent tous les Musulmans et tous les Juifs à travers le monde, inspirant de ce fait des sentiments islamophobes et antisémites.

Et l’État juif et l’État islamique recrutent partout dans le monde des jeunes gens un peu dérangés en tant que combattants étrangers qu’ils embarquent dans des atrocités. Quand les défenseurs d’Israël n’ont pas pu affronter ces comparaisons sur le fond, ils ont tout bonnement essayé de s’approprier le hashtag #EJIL en déclarant qu’il signifiait « Etat Juif d’Israël Vivra ».

EF:L’EI décapite ses victimes puis diffuse les vidéos des décapitations sur YouTube et les réseaux sociaux. Est-ce que les soldats israéliens réalisent aussi ce genre de vidéos ?

MB : Lors de la dernière agression sur Gaza, l’armée israélienne a tué des civils grâce à des drones et les citoyens israéliens ont célébré ces assassinats sur Facebook. Des citoyens israéliens se sont retrouvés sur une colline de la ville frontalière de Sderot et ont célébré le bombardement militaire avec des chips et de la bière. Je trouve que ce n’est pas moins macabre et dégoûtant.

EF : A quel point l’extrémisme religieux est-il présent dans l’armée israélienne ?

MB : Il est très présent. L’un des principaux personnages de la dernière opération militaire dans la Bande de Gaza était le commandant Ofer Winter, qu’on a célébré comme un héro national. Avant la mission, Winter a dit à ses troupes que les Palestiniens avaient péché contre Dieu et devaient donc être punis.
Il déclarait ainsi littéralement une guerre sainte contre le peuple palestinien. Ce n’est pas la seule façon dont Winter a exprimé l’extrémisme religieux qui s’élève dans la société israélienne. Un jour, une chanteuse israélienne a voulu se produire devant les soldats [de Winter]. Il a refusé [l’autorisation] disant qu’une femme n’en avait pas le droit.

EF : Il y a beaucoup de femmes dans l’armée israélienne. Et ceci est célébré dans ce que sont les campagnes efficacement promotionnelles pour Israël. Comment peut-il y avoir de la misogynie dans l’armée israélienne si beaucoup de femmes en sont membres ?

MB : Ce qu’on ne dit pas c’est le fait que ces femmes subissent plus d’agressions par leurs partenaires dans l’armée que par les Palestiniens. Je pense que seules les féministes impérialistes prétendent que les femmes peuvent s’émanciper dans une armée telle que l’armée israélienne.

Des personnages politiques comme Samantha Power ou Angela Merkel ou Tzipi Livni sont de bons exemples de ce genre de féminisme parce que leur marque personnelle de féminisme marche main dans la main avec les intérêts impérialistes des puissances occidentales qui s’investissent ainsi dans la majorité des pays musulmans, où la population est décrite comme culturellement arriérée et en attente de « libération ».

EF : Lors de la dernière agression contre Gaza, les membres de la famille d’Ibrahim Kilani – qui sont des citoyens allemands – ont été tués. Son fils Ramsis, qui vit en Allemagne, a dit que, jusqu’à aujourd’hui, personne ne s’est excusé auprès de lui. Le gouvernement allemand ne l’a pas appelé une seule fois. Comment pouvez vous expliquer ce comportement ?

MB : Le comportement du gouvernement allemand démontre non seulement son manque d’intérêt pour les droits des Palestiniens, mais aussi pour leurs vies mêmes. La vie de ces gens est pratiquement inexistante en Allemagne. Ils sont le nouveau « non-peuple ».

Le ministre allemand des Affaires Etrangères a exprimé ses condoléances aux familles de ces citoyens allemands tués dans un avion de ligne qui survolait l’est de l’Ukraine, peut-être bien par des séparatistes russes. Mais il n’a rien dit à la famille Kilani.

Ne pas reconnaître la vie des Palestiniens a été la politique de l’Allemagne depuis l’époque de Konrad Adenauer [chancelier d’Allemagne de l’Ouest de 1949 à 1963]. A cette époque, Israël n’eut aucun problème pour négocier les réparations de l’Holocauste avec la direction de la chancellerie, Hans Globke, Nazi reconnu du Troisième Reich. Ces sommes versées par l’Allemagne allèrent directement dans la machine de l’occupation qui a fait des Palestiniens les victimes indirectes de l’Holocauste.

Le carnage en cours est un résultat de cette politique et chaque Allemand devrait se demander : comment cette politique honore-t-elle l’Holocauste ?

EF : Votre désir de faire ce genre de déclarations explique probablement pourquoi quelques politiciens allemands ne veulent pas vous voir ici en Allemagne. Que vous est-il arrivé exactement ?

MB : Quelques politiciens, tel Volker Beck, député du Parti Vert allemand, avaient lancé une campagne pour nous faire taire – moi et le journaliste David Sheen. La raison en était qu’ils ne voulaient pas connaître une autre version du Judaïsme et qu’ils ne voulaient certainement pas entendre parler des faits sur le terrain.

En réalité, leur attitude promeut l’antisémitisme. C’est tout simplement antisémite de mettre sur le même plan Sionisme et Judaïsme et de limiter l’identité juive aux contours étroits du nationalisme israélien. Pour un politicien de qualité, agir ainsi est plus qu’écoeurant.

EF : La Bande de Gaza reste détruite. Et, selon quelques médias, une troisième intifada s’apprête à éclater en Cisjordanie occupée. Est-ce vraiment le cas ou est-ce juste pour faire peur ?

MB : L’année dernière, la mosquée al-Aqsa [à Jérusalem] a été envahie « seulement » huit fois par les soldats israéliens. Cette année, c’est arrivé 76 fois. Des éléments radicalement religieux ont annoncé qu’ils voulaient détruire la mosquée pour construire un temple juif. Si cela arrive, la situation va revêtir des implications mondiales qui la rendront presque apocalyptique.

Tout ce conflit est en train de prendre une dimension religieuse, dévastatrice pour tous ceux qui y sont impliqués, et qui, comme je l’ai dit, favorisera une radicalisation dans le monde entier. Je pense que la troisième intifada est vraiment à notre porte.

Je crois cependant que ce mot – intifada – ne décrit pas convenablement la situation. Il n’est pas assez efficace pour décrire ce qui est réellement en train de se passer. A l’époque – dans le cas de la première et de la deuxième intifada – ce terme était approprié.

Maintenant, alors que de nombreux leaders politiques palestiniens sont en prison ou morts et et qu’une gangue si complexe de contrôle leur est imposée, une révolte nationale ne peut exister. Ce que nous voyons, c’est une résistance créative, avec des moyens limités, qui survient à un niveau national, mais de façon sporadique.
Et cela va continuer et s’intensifier tant que le statu quo sera en place. C’est ce statu quo mortel que la politique étrangère allemande protège et promeut.

Emran Feroz est un journaliste freelance, blogger et militant, basé en Allemagne. Il est aussi le fondateur de Drone Memorial, site web qui recense les victimes des attaques de drones. Son compte Twitter est @Emran Feroz .

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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