Les mythes humanitaires de la politique de « coups sur le toit » d’Israël à Gaza

Amjad Iraqui – The Huffington Post – 9 septembre 2014

faz

Une école des Nations-Unies gravement endommagée par les attaques israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza.
(UN/Shareef Sarhan – Flickr)

Un poème palestinien, « Ordre de courir », de Lena Khalaf Tuffala, décrit l’expérience, avec les yeux des habitants de Gaza, de la bien connue procédure militaire israélienne :

Ils nous appellent
Avant qu’ils laissent tomber les bombes.
Le téléphone sonne
et quelqu’un qui connaît mon prénom
appelle, et dit dans un arabe parfait
« C’est David…
…Vous avez 58 secondes dès la fin de ce message.
Votre maison est la prochaine…
… Courez ».

Avec la fin de l’ « opération Bordure protectrice » le 26 août 2014, la communauté internationale se prépare à enquêter sur de nombreux cas de crimes de guerre présumés commis par les parties belligérantes. Tentant de contrer ces allégations, une équipe juridique constituée par l’armée israélienne va soutenir qu’une politique comme celle ci-dessus, connue sous le nom de « Toquer sur le toit » (knock-on-the-roof), démontre la préoccupation humanitaire qui était celle d’Israël pour la sécurité des civils quand il attaquait des cibles sensées être du Hamas à Gaza.

L’équipe juridique aurait raison de dire que toquer sur le toit a contribué à éviter de faire plus de victimes, au moins dans une certaine mesure. Pour autant, cet argument dissimule les conséquences réelles de cette politique sur le terrain, à savoir ces innombrables civils qui ont été déplacés, traumatisés, blessés et même tués du fait de ces « coups sur le toit ». Avec les frappes de missiles et les incursions terrestres qui ont tué plus de 2100 Palestiniens (environ 70 % étant des civils) et en ont blessé des milliers de plus, les « mesures préventives » d’Israël durant la guerre ont, en réalité, exacerbé la crise humanitaire dans la bande de Gaza.

Premièrement, l’armée israélienne prétend que de toquer sur le toit est une méthode efficace d’avertissement pour éviter de nuire aux civils. Ces coups, cependant, ne reflètent pas le sens apaisant que leur en donne leur surnom. Ces coups sont des bombes qui sont assez puissantes pour endommager ou secouer tout un immeuble, capables de causer des dommages physiques et de provoquer une peur immense chez les habitants à l’intérieur. Des familles paniquées se sont précipitées pour prévenir les voisins des bombes qui allaient tomber, et une pagaille s’en suivait alors que les gens tentaient de sortir de la zone de tirs. La surpopulation des quartiers et camps de réfugiés gazaouis rendait encore plus difficile pour les gens une évacuation rapide lors de ces situations d’urgence où leur vie était en danger. Plus troublant encore, il y a eu plusieurs cas où ces prétendus avertissements étaient en fait les bombardements eux-mêmes, qui frappaient et tuaient des civils, notamment dans le cas de ces garçons qui nourrissaient des pigeons sur la terrasse de leur maison.

Deuxièmement, l’armée affirme qu’elle a épuisé toutes les tentatives pour s’assurer que les civils avaient été prévenus suffisamment à l’avance d’une attaque. Cependant, certains cas de coups sur le toit révèlent qu’il n’y avait aucune application régulière ou fiable de cette affirmation. Le processus pouvait aller des appels téléphoniques avant l’attaque, à aucun appel du tout ni aucun coup sur le toit. À plusieurs reprises, un coup a été donné mais l’attaque n’avait pas encore commencé des heures plus tard, ce qui créait un risque pour les habitants qui avaient fui leurs maisons ou, croyant avoir reçu une fausse alerte, étaient retournés sur les sites ciblés. D’autres cas montrent le contraire, en ce que de nombreux habitants n’ont pas eu suffisamment de temps – quelques secondes ou minutes – pour s’écarter de l’explosion et des gravats provoqués par l’attaque qui faisaient des morts et des blessés. Au lieu par conséquent d’être « considérés » comme une alerte, les coups sur le toit étaient devenus un symbole de peur, d’imprévisibilité et de pagaille.

Troisièmement, les responsables israéliens soutiennent que la responsabilité de l’armée dans la vie des civils s’arrête une fois qu’elle a lancé ses avertissements. Sauf que c’est juridiquement, pratiquement et moralement inexact. En plus des risques ci-dessus, les coups sur le toit, et les attaques de missiles qui suivent, sont directement responsables du déplacement et de la dépossession de familles palestiniennes, les forçant à l’itinérance et à la pauvreté. Ceci est encore aggravé par le fait qu’il n’y a nulle part où aller dans la bande de Gaza. Avec la fermeture de ses points de passages terrestres, ses villes surpeuplées, ses installations humanitaires à bout de souffle, le ciblage de ses hôpitaux et de ses abris, et les attaques aériennes sur pratiquement toutes les parties de son petit territoire, Gaza, plus que jamais, a ressemblé à une prison agitée où les Palestiniens se voyaient refuser même le droit d’être des réfugiés.

Ces conséquences dévastatrices des coups sur le toit ont déjà été constatées par le passé. Dans l’enquête sur l’ « opération Plomb durci » de 2008/2009, la commission d’enquête des Nations-Unies sur le conflit de Gaza a conclu que les coups sur le toit étaient un avertissement inefficace « constituant une forme d’attaque » contre les habitants des immeubles ciblés, et qu’ils visaient plus probablement à « semer la terreur et la confusion chez les civils touchés » plutôt que de les aider à se mettre en sécurité. Bref, contrairement aux allégations que l’on attend de l’équipe juridique israélienne, les coups sur le toit ne donnent aucun caractère légal à ce qui est clairement jugé comme un crime par le droit international : une punition collective de civils. Même si des cibles militaires ont été incorporées dans des zones civiles, il y a rarement une raison militaire ou morale pour excuser le préjudice disproportionné causé à des milliers de civils à travers ces mesures. Le fait qu’Israël ait lancé des offensives contre Gaza à trois reprises ces six dernières années, tout en maintenant un blocus pendant huit années, prouve encore une fois que sa politique militaire fait peu de cas d’une sécurité dont se targue ses dirigeants pour les justifier. Son seul résultat, malgré les mythes qui veulent le dissimuler, c’est de faire des conditions humanitaires extrêmes de Gaza un élément constant dans la vie de sa population. Jusqu’à ce que cette politique prenne fin, plus encore de Palestiniens peuvent se trouver menacés avec le même message par téléphone, explosion ou missile : « Votre maison est la prochaine… Courrez ! ».

Source: The Huffington Post

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Retour haut de page