Le gouvernement Netanyahu savait que les adolescents étaient morts, alors qu’il poussait au délire raciste

 

Max Blumenthal,  9 juillet 2014

« Maudit soit celui qui dira, « Venger ça » »

Chaim Bialik, « Sur le massacre »

Dès l’instant où les trois adolescents israéliens ont été portés disparus le mois dernier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’appareil de l’armée et des renseignements du pays ont bloqué toute circulation de l’information vers le grand public. Par un mélange toxique de propagande, de subterfuge et d’incitation, ils ont enflammé une situation précaire, manipulant les Israéliens pour tenir leur agenda, jusqu’à ce qu’ils rendent un cauchemar tout à fait évitable, inévitable.

Les chefs de la police et des renseignements et Netanyahu savaient dans les heures qui suivirent l’enlèvement et le meurtre des trois jeunes qu’ils avaient été tués. Et ils savaient qui étaient les principaux suspects moins d’un jour après que l’enlèvement a été signalé.

Plutôt que de révéler ces précisions au public, l’agence des renseignements d’Israël, le Shin Bet, a donné l’ordre du silence aux médias nationaux, interdisant aux agences d’information de dire que les adolescents avaient été presque certainement tués, et de révéler également l’identité des meurtriers présumés. Le Shin Bet a même menti aux parents des adolescents enlevés, leur faisant croire que leurs fils étaient en vie.

Au lieu de monter une action limitée pour arrêter les auteurs présumés et récupérer les corps des adolescents, Netanyahu a organisé toute une campagne agressive de relations publiques, de niveau international, exigeant la compassion et l’indignation des dirigeants dans le monde, lesquels avaient, eux aussi, le sentiment que les jeunes disparus étaient toujours vivants.

En attendant, les forces armées d’Israël saccageaient toute la Cisjordanie occupée et bombardaient la bande de Gaza dans une campagne de punition collective vendue mensongèrement aux Israéliens et au monde comme une mission de sauvetage.

Des détails essentiels qui étaient connus depuis le début par l’appareil armée-renseignements et Netanyahu n’ont été relayés vers l’opinion israélienne qu’après l’enlèvement de plus de 560 Palestiniens, dont au moins 200 sont toujours détenus sans inculpation ; après des raids sur les universités palestiniennes et des mises à sac d’innombrables maisons ; après que six civils palestiniens eurent été tués par les forces israéliennes ; après que la police de l’Autorité palestinienne entraînée par les Américains eut aidé les soldats israéliens dans des attaques contre des jeunes Palestiniens dans le centre de Ramallah ; après que furent allégués des vols qu’auraient commis les troupes israéliennes pour 3 millions de dollars US ; et après que la grand-messe de relations publiques internationales d’Israël fut arrivée à son terme.

L’assaut contre la Cisjordanie a suivi de près l’effondrement des négociations sous l’égide des USA, que les USA ont reproché à Netanyahu, et est venu immédiatement après la ratification par le Hamas d’un accord d’union avec l’Autorité palestinienne contrôlée par le Fatah. Netanyahu était toujours sous le coup de la reconnaissance américaine du gouvernement d’union quand la nouvelle de l’enlèvement lui est parvenue. Ne ratant jamais une occasion d’affaiblir les Palestiniens, lui et son entourage immédiat se sont résolus à tirer de l’enlèvement une propagande du meilleur niveau possible.

Des semaines après les faits, il est maintenant clair que le gouvernement israélien, ses services de renseignements et l’armée se sont engagés dans une opération de camouflage pour assurer l’espace politique dont ils avaient besoin pour une campagne militaire qui avait très peu à voir avec le sauvetage des adolescents enlevés.

La campagne de désinformation qu’ils ont menée a conduit une population endoctrinée, entièrement militarisée, à un délire tribaliste, provoquant une vague d’incitation à un haut degré, au meurtre vengeur consternant d’un adolescent palestinien innocent et à des émeutes à travers Jérusalem-Est.

Quand le chaos finira, et jusqu’où il se propagera, nul ne le sait. Mais son origine est de plus en plus claire.

Bâillonement des médias, mensonge aux parents des adolescents

Le 12 juin, trois jeunes Israéliens juifs, Naftali Frenkel, Gilad Shaar et Eyal Yifrach, disparaissent alors qu’ils font de l’autostop en partant de Kfar Etzion, une colonie illégale en Cisjordanie occupée. A 22 h 25, Shaar lance un appel paniqué à la police israélienne.

Durant cet appel étrange qui dure deux minutes et neuf secondes, on entend les présumés ravisseurs ordonner aux jeunes de garder la tête baissée. On entend aussi Radio Israël en bruit de fond, alors que Shaar appelle à l’aide à plusieurs reprises. Puis, ce sont plusieurs coups de feu, suivis de chants de fête, alors les ravisseurs remarquent, « Nous en avons eu trois ». Les trois ont été tués.

Il faut attendre jusqu’au lendemain matin pour que la police fasse le lien entre l’appel et la plainte pour personnes disparues déposée par les parents des jeunes. Lors d’une réunion avec des responsables du Shin Bet ce jour-là, les parents des adolescents écoutent un enregistrement de l’appel téléphonique.

Bat Galim Shaar, la mère de Gilad Shaar, demande aux enquêteurs de lui expliquer les coups de feu entendus en bruit de fond, et si cela veut dire que son fils est mort.

Selon Bat Galim Shaar, la police va déclarer que les balles étaient « des balles à blanc ». Quand la voiture utilisée par les présumés ravisseurs a été découverte carbonisée sur le bord d’une route, le Shin Bet lui dit qu’aucun ADN n’avait été trouvé. En réalité, il y a des balles et du sang partout à l’intérieur de la voiture. Le Shin Bet ment aux parents des jeunes disparus afin d’entretenir le faux espoir que leurs fils sont en vie.

« Quand (le Shin Bet) me dit finalement à 6 h du matin, vendredi, que l’armée est au travail, je me sens mieux – comme si nous étions entre de bonnes mains, » a dit Bat Galim Shaar sur Channel 10 d’Israël. « J’ai été naïve, j’ai dit à tout le monde que Gilad serait à la maison avant le Shabbat. »

Après avoir trompé les parents des victimes, l’appareil armée-renseignements d’Israël a été amené à dissimuler la vérité au grand public, donnant un ordre de silence qui interdisait aux médias du pays de faire des révélations sur les coups de feu entendus dans l’appel enregistré à la police.

Selon le texte de l’ordre de silence, qui a d’abord été publié en anglais sur Mondoweiss, l’armée interdit aux journalistes israéliens de rendre publics « tous les détails de l’enquête » et « tout détail qui pourrait identifier le suspect ».

Non seulement tous ceux qui participaient à l’enquête – Netanyahu, le Shin Bet, l’armée – ont su tout de suite que les trois adolescents disparus étaient presque certainement morts, mais ils avaient aussi identifié les deux hommes qu’ils pensaient être les responsables un peu plus d’un jour après le crime.

Pour légitimer les objectifs plus vastes de l’armée, ils n’ont pas divulgué cette information.

Cacher les suspects

Le 17 juin, le site d’information de langue arabe, Rai Al Youm, rapporte que la police israélienne et les agents du Shin Bet ont investi les maisons de Marwan Qawasmeh et d’Amer Abu Eishe, les principaux suspects, près d’Hébron en Cisjordanie du sud. En tant qu’organe d’informations palestinien basé à Londres, Rai Al Youm n’était pas soumis à l’ordre de silence de l’armée israélienne et était, par conséquent, libre de publier les noms des deux personnes accusées d’être les ravisseurs.

Citant un article du site d’informations israélien Walla !, article retiré en raison de l’ordre de silence ou rendu autrement inaccessible, Rai Al Youm résume le récit du père d’Abu Eishe comme suit : « Samedi, à l’aube (deux jours après que l’enlèvement présumé eut été diffusé), les forces spéciales de l’armée israélienne ont investi la maison et interrogé les fils de la famille, tentant de trouver une information qui pourrait les guider là où il se trouvait, mais ils ont échoué ».

Le père d’Abu Eishé ajoute que le Shin Bet a aussi arrêté l’épouse de son fils pour l’interroger sur l’endroit où il pourrait se trouver. Un oncle de Qawasmeh remarque que quatre des frères de son neveu et son épouse ont été arrêtés le lendemain du présumé enlèvement, et interrogés.

Rai Al Youm ajoute : « Plusieurs des correspondants militaires des médias hébreux ont publié vendredi dernier une déclaration attribuée à un dirigeant de la sécurité palestinienne où il dit que l’AP (Autorité palestinienne) a pisté deux membres du Hamas qui avaient disparu jeudi dernier (le jour de l’enlèvement) et que les forces de sécurité de l’AP ont donné l’information qu’elles détenaient à Israël. Et maintenant, il est clair que ce récit est véridique, et qu’Israël les recherche et les accuse d’être derrière l’enlèvement. »

Allison Deger, correspondante Mondoweiss, s’est rendue à la maison de Qawasmeh et confirme que l’armée et le Shin Bet ont emmené plusieurs hommes de la famille pour interrogatoire le 14 juin.

Dans une enquête criminelle normale d’envergure, les noms des suspects en fuite sont largement diffusés. Les enquêteurs affichent, bien en évidence, les photos des criminels recherchés dans des espaces publics pendant que les responsables de la police organisent des conférences de presse pour faire appel à l’aide du public. Dans ce cas-ci, toutefois, les services de renseignements d’Israël ont fait le choix de garder les identités de leurs suspects jalousement secrètes pendant deux semaines.

Alors que Netanyahu et ses principaux adjoints accusaient l’ensemble des membres du Hamas de l’enlèvement, le Shin Bet donnait l’ordre de taire toute information liée à l’identité des suspects jusqu’au 26 juin. Aussi loin que l’opinion publique israélienne était informée, les ravisseurs auraient pu être n’importe où en Cisjordanie, dans une école ou un café, ou un poulailler, là où quiconque affilié au Hamas peut se rassembler.

Ayant manipulé une population exceptionnellement influençable grâce à une gestion méticuleuse de l’information, l’armée a obtenu toute la latitude politique dont elle avait besoin pour se déchaîner dans les villes éloignées de la scène du crime.

Durant un raid sur l’université de Birzeit, près de Ramallah, les troupes israéliennes se sont emparées de centaines de drapeaux Hamas, les emmenant par camions comme si elles avaient récupéré là une preuve d’importance. Quand l’armée a bombardé la bande de Gaza, la seule justification dont elle a eu besoin était que le territoire côtier assiégé était gouverné par le Hamas.

Un sondage publié le 2 juillet révèle que76 % des Israéliens juifs approuvent les actions de l’armée et expriment un soutien massif à Shin Bet.

À court terme, l’ordre de silence avait produit le résultat recherché.

Un élément isolé

Bien que Qawasmeh et Abu Eishe soient largement identifiés comme d’anciens membres de la branche militaire du Hamas, ils constituent un élément isolé susceptible d’avoir agi à l’insu et contre le volonté de la direction du Hamas.

Selon le journaliste israélien Shlomi Eldar, les membres du clan Qawasmeh d’Hébron ont la réputation d’attaquer des cibles civiles israéliennes pendant les cessez-le-feu entre Hamas et Israël.

Si une grande famille de plus de 10 000 membres ne peut guère être blâmée pour les actions de quelques-uns de ses membres, il est notoire que les attaques effectuées par des combattants de la famille ont été critiquées en privé par les hauts dirigeants du Hamas, comme l’explique Eldar. La direction du Hamas considérait ces opérations comme des actes anarchiques autodestructeurs et qu’il fallait les payer souvent sous forme d’assassinats par Israël. Dans chaque cas, la violence a brisé les cessez-le-feu et inspiré de nouvelles périodes d’effusion de sang.

« Il en va de même aujourd’hui, » écrit Eldar. « Marwan Qawasmeh et Amer Abu Eishe ont placé le Hamas là où sa direction n’avait pas l’intention d’aller ».

La direction du Hamas n’a pas encore assumé la responsabilité de l’enlèvement et n’avait probablement aucune connaissance du projet. Comme le correspondant militaire de Ha’aretz, Amos Harel, le note, « Jusqu’à présent, il n’existe aucune preuve que la direction du Hamas, à Gaza ou à l’étranger, ne soit impliquée dans l’enlèvement. » Harel ajoute que les retombées de l’enlèvement « figent efficacement la réconciliation Fatah-Hamas ».

Pourquoi la direction du Hamas aurait-elle autorisé une opération qui menaçait si clairement de remettre en cause les succès politiques du mouvement, réduisant à néant l’accord d’union tant vanté et laissant Abbas sans rival en Cisjordanie ?

L’attaque-éclair de la propagande du gouvernement israélien a couvert les questions qui donnent à réfléchir comme celles-ci. Quant à l’ordre de silence, il a obstrué la circulation de l’information qui aurait compliqué la propagande.

Déterminé à recadrer le récit de la presse internationale autour de la position difficile d’Israël aux mains du terrorisme palestinien, Netanyahu est passé à l’offensive.

#BringBackOurBoys

Le 17 juin, le même jour où l’armée israélienne confisquait de force les caméras de vidéosurveillance à Beitunia, qui avaient enregistré l’assassinat par ses soldats de deux garçons palestiniens désarmés lors d’une manifestation pour la Journée de la Nakba, l’ambassadeur israélien aux Nations-Unies, Ron Prosor se montrait derrière un pupitre à la Mission des Nations-Unies, à New York.

« Cela fait cinq jours que nos garçons ont disparu, » a tonné Prosor, « et j’interroge la communauté internationale, où êtes-vous ? Où êtes-vous ?! »

Se référant au gouvernement d’union Fatah-Hamas, Prosor d’ajouter : « Tous ceux dans la communauté internationale qui se sont précipités pour bénir ce mariage devraient regarder dans les yeux les parents qui ont le cœur brisé, et avoir le courage de prendre leur responsabilité en condamnant l’enlèvement. La communauté internationale a adhéré à un mauvais accord, et Israël paie pour cela. »

À côté de Prosor, il y avait un grand panneau sur lequel étaient représentés les visages souriants des trois adolescents disparus, sous un hastag marquant #BringBackOurBoys. L’attaque-éclair propagandiste d’Israël approchait de son apogée.

Pendant des jours, les dirigeants des brigades israéliennes entraînées à la propagande en ligne – qui vont de l’unité du porte-parole de l’armée israélienne à l’Agence juive et au bureau du Premier ministre – ces dirigeants ont inondé les médias sociaux avec le hashtag #BringBackOurBoys. Copiant Michelle Obama dans sa promotion du hashtag #BringBackOurGirls qui visait à sensibiliser l’opinion sur l’enlèvement des écolières nigériennes par des militants islamiques, l’épouse renfrognée du Premier ministre israélien, Sara, a posté un portrait d’elle-même sur Facebook, tenant une carte où est écrit #BringBackOurBoys

La campagne de médias sociaux a résonné à travers les communautés juives aux USA, où les synagogues du pays ont exposé des rubans jaunes dans une démonstration de solidarité soigneusement coordonnée avec les adolescents disparus. À New York, les politiciens de la ville se sont montrés aux rassemblements pro-Israël, pendant que des diplomates américains, de l’ambassadrice US aux Nations-Unies, Samantha Power, à l’ambassadrice Susan Rice, rivalisaient tour à tour pour rendre l’hommage le plus émouvant aux adolescents enlevés.

Rachel Frenkel, la mère de Naftali Frenkel, enlevé, a été déléguée par le gouvernement israélien auprès du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies à Genève, en Suisse, pour implorer une aide internationale afin de secourir son fils.

Toute la campagne de propagande est passée à la vitesse supérieure malgré Netanyahu et son entourage immédiat qui savaient que les adolescents étaient déjà certainement morts. Et elle a été possible grâce à l’ordre de silence du Shin Bet, que même des correspondants étrangers comme la chef du bureau du The New York Times à Jérusalem, Jodi Rudoren, a honoré. Le gouvernement israélien n’a pas voulu permettre aux faits d’interférer avec ce qui semblait être une opportunité politique.

Derrière l’image de pitié qu’elle affectait devant le monde, la société israélienne rageait de sa soif de sang. Une page Facebook (*) créée spontanément, demandant qu’un prisonnier palestinien soit exécuté chaque jour que les adolescents resteront disparus, alors qu’une autre intitulée « Le peuple d’Israël réclame vengeance » a recueilli plus de 35 000 « J’aime », la plupart venant de jeunes Israéliens, cela en quelques jours seulement.

Manipulée par une campagne de haut niveau de tromperie et de désinformation, faisant croire que « leurs garçons » étaient toujours vivants, l’opinion israélienne n’allait pas tarder à recevoir des informations choquantes.

Sous une mince couche de terre

À 6 h du matin, le 30 juin, les corps de Frenkel, Shaar et Yifrach étaient trouvés à Halhoul, à l’entrée nord d’Hébron, en Cisjordanie occupée. Ils étaient allongés dans un trou peu profond sur un terrain appartenant à Marwan Qawasmeh, l’un des deux hommes suspectés de leur enlèvement et meurtre.

Les corps ont été découverts non pas par le Shin Bet, mais par une équipe de bénévoles de l’école agricole de Kfar Etzion qui a conduit les soldats sur place. Pour sa part, l’armée avait été trop occupée par l’invasion des maisons palestiniennes dans des régions aussi éloignées que Naplouse, pour passer efficacement au peigne fin la propriété d’un suspect à moins de 10 km du lieu de l’enlèvement.

Des heures après la découverte, les forces israéliennes ont placé des charges explosives dans les maisons familiales de Qawasmeh et Abu Eishe et les ont fait sauter. La destruction faisait suite à l’annonce que l’armée reprenait sa politique de démolitions punitives des maisons contre les familles de Palestiniens accusés de terrorisme.

Cet après-midi, Netanyahu a donné le ton pour une réponse nationale, publiant des commentaires sur son compte Twitter personnel qu’il venait juste de tenir à sa réunion de cabinet :

Le Premier ministre à la réunion de cabinet, 23 h 40, le 30 juin 2014 :

« C’est avec une grande peine que nous avons trouvé trois corps. Tout indique que ce sont les corps de nos jeunes enlevés, Eyal, Gilad et Naftali.

« Ils ont été enlevés et assassinés de sang-froid par des animaux humains. Au nom du peuple juif tout entier, je veux dire à leurs chères familles…

« Aux mères, pères, grands-mères et grands-pères, frères et sœurs – nous sommes profondément attristés, la nation tout entière pleure avec vous.

« Vengeance pour le sang d’un petit enfant, que Satan n’a pas encore créé. Aucun n’a une vengeance pour le sang pour trois jeunes purs qui étaient sur le…

« …chemin de la maison de leurs parents qui ne les reverront plus. Le Hamas est responsable et le Hamas paiera. Que les mémoires des trois garçons soient bénies. »

Les propos de Netanyahu ont laissé perplexes les gens de l’extérieur, mais chez ceux qui sont ancrés dans les limites étroites de la vie israélienne juive, ils ont eu eu une résonance familière.

De Kishinev à Jérusalem

La déclaration de Netanyahu fait allusion à la dernière strophe d’un poème de l’auteur hébreu Chaim Bialik, « Sur le massacre » :

« Maudit soit celui qui dira : « Venger ça ! »

Une telle vengeance, vengeance pour le sang d’un petit garçon,

Que Satan lui-même n’a pas conçu

Que ce sang transperce l’abîme !

Que ce sang transperce les profondeurs des ténèbres,

Laissez-le ronger les ténèbres et puis saper

Toutes les fondations pourries de la terre. »

Dans sa poésie, une complainte brûlante ancrée dans le langage biblique, le poète Bialik adapte un pogrom de 1903 incité par le tsar russe et où un grand nombre de juifs sont morts, à Kishinev.

Bialik va donner une suite à son premier récit sur Kishinev avec « La ville du massacre », une œuvre incendiaire admonestant les victimes du pogrom pour leur passivité supposée face aux maraudeurs armés. (Les articles sur la résistance féroce des habitants ont été commodément ignorés.) Le poème a aidé à radicaliser des milliers de jeunes juifs à travers l’Europe de l’Est, inspirant la formation de comités d’autodéfense et gagnant des milliers de fidèles à la philosophie militante du sionisme. Parmi les plus influencés par Bialik, il y avait Vladimir Jabotinsky, l’activiste sioniste de droite qui deviendra plus tard un bienfaiteur politique pour le père de Netanyahu, Benzion.

Dans sa grossière appropriation de la poésie de Bialik, Benjamin Netanyahu reprend l’auteur du pogrom russe pour en faire un militant palestinien, traçant une ligne continue entre le cauchemar des juifs dans l’Europe de l’avant-guerre et le vécu israélien de nos jours. Dans l’opinion de Netanayhu, les « animaux humains » de Palestine ont hérité de l’esprit génocidaire des foules du tsar et ils répètent leurs crimes, sauf que les juifs sont prêts à se battre.

Naturellement, les juifs israéliens sont l’exact opposé des habitants des quartiers juifs (Shtetl) du début du siècle, se préparant contre les pogroms et nettoyages ethniques. Contrairement aux exclus persécutés de l’Europe de l’Est, les juifs israéliens comprennent une armée puissante, nucléarisée, qui regarde de haut une population palestinienne exclue, largement sans moyens de défense, et ce, avec le total soutien de la seule superpuissance du monde.

Pour ce qui le concerne, Netanyahu a plus en commun avec le tsar russe qui incitait contre les minorités religieuses pour détourner l’attention de ses problèmes politiques, qu’avec Bialik, le scribe itinérant qui canalisait la douleur des membres les plus faibles de sa société.

L’exploitation de la persécution historique des juifs a été une caractéristique constante de la rhétorique de Netanyahu, avec un étalage sans vergogne lors d’une allocation télévisée nationalement en octobre dernier, où il accuse le mouvement national palestinien d’avoir eu un rôle important dans l’Holocauste.

Cette fois, dans une atmosphère dangereusement tendue, sa démagogie a contribué à mettre en mouvement une vague de violences justicières qui a menacé d’engloutir l’ensemble de la société israélienne. Puis il s’est reculé de la scène publique, gardant un silence ostensible pendant plusieurs jours tandis que les éléments extrémistes qu’il avait enhardis prenaient le contrôle des rues.

« Assassinats, émeutes, incitations, autodéfense »

Alors que des foules de jeunes juifs sillonnaient le centre de Jérusalem, scandant « Mort aux Arabes ! » et cherchaient des Palestiniens pour les agresser, des soldats israéliens en service actif allaient sur Facebook pour réclamer vengeance, postaient des photos d’eux-mêmes avec les armes qu’ils brûlaient d’utiliser.

Avec un sondage de l’opinion publique israélienne réalisé après les funérailles des adolescents israéliens, montrant le parti d’extrême-droite « Foyer juif » gagnant du terrain sur le parti Likoud de droite, les parvenus politicards israéliens se sont précipités pour publier des appels à la vengeance du sang et à l’ « anéantissement » du Hamas. Ayelet Shaked, star montante du Foyer juif, a publié un appel au génocide des Palestiniens sur Facebook qui a obtenu des milliers de « j’aime » de la part des Israéliens.

Le rabbin Noam Perel, secrétaire général de Bnei Akiva, le plus important mouvement de la jeunesse sioniste religieuse, a placé la barre du fanatisme encore plus haut en appelant à transformer l’armée israélienne en une armée de vengeurs « qui ne s’arrêteront pas à 300 prépuces philistins. » L’appel d’Akiva se rapporte au premier livre de Samuel, dans lequel le personnage biblique de David tue deux cents Philistins et rapporte leurs prépuces comme preuve de ce qu’il a fait.

Sur fond d’incitation de fièvre aiguë, une petite voiture entre dans le quartier retiré de Shuafat, un quartier palestinien de Jérusalem-Est, le 2 juillet. Derrière ses vitres teintées, des jeunes hommes en colère cherchent des garçons arabes.

Après un enlèvement bâclé la veille d’un jeune de 10 ans dans ce même quartier, les hommes empoignent un jeune de 16 ans, dénommé Muhammad Abu Khudair, le jettent dans la voiture et partent à toute vitesse. Abu Khudair est retrouvé mort le lendemain matin, dans les bois de Givat Shaul, à l’ouest et tout près de Jérusalem, avec des brûlures sur 90 % du corps.

Comme il l’avait fait après l’enlèvement des trois adolescents israéliens, le Shin Bet impose le silence sur l’enquête, apparemment dans l’espoir de retarder la publication de l’information qu’Abu khudair a été la victime de l’extrémisme juif. Et comme précédemment, la police va inonder les médias israéliens avec la désinformation, cette fois en insinuant que le jeune assassiné a été tué par des membres de sa propre famille parce qu’il était homosexuel.

The Electronic Intifada a obtenu l’enregistrement de la vidéosurveillance montrant les visages des présumés tueurs d’Abu Khudair, alors qu’ils l’enlèvent. La vidéo a été cachée pendant plusieurs jours au public israélien dans le cadre d’un nouvel ordre de silence du Shin Bet. Quand la police a finalement arrêté les assassins présumés d’Abu Khudair, elle a, curieusement, organisé une conférence de presse commune avec le meurtre d’une jeune femme juive, suggérant sans aucune preuve claire, qu’elle avait été la victime d’un terroriste palestinien.

Le 4 juillet, l’autopsie révèle que les assassins d’Abu Khudair l’ont brûlé vif. Des manifestations et des émeutes se propagent depuis Shuafat à travers Jérusalem-Est et dans les régions du nord d’Israël. Pendant ce temps, les nationalistes juifs s’en vont sur Facebook organiser de nouveaux lynchages.

Netanyahu a fait surface brièvement la veille de la cérémonie du Jour de l’Indépendance au consulat US de Jérusalem. Avec l’ambassadeur US en Israël, Dan Shapiro, assis à ses côtés, le Premier ministre s’est trouvé malgré lui confronté à la frénésie de racisme qu’il avait contribué à inspirer.

S’exprimant en anglais pour être compris de ses hôtes américains, Netanyahu a déclaré, « Assassinats, émeutes, incitations, autodéfense, n’ont aucune place dans notre démocratie. Et ce sont ces valeurs démocratiques qui nous différencient de nos voisins et nous unissent avec les États-Unis. »

À l’extérieur, le chaos ne montrait aucun signe d’apaisement.

(*) Note du rédacteur : cet article a été corrigé depuis sa première publication pour préciser que ce sont deux pages populaires de Facebook réclamant vengeance qui ont été créées après la disparition des adolescents israéliens ; l’article n’évoque initialement qu’une seule page.

Max Blumenthal est journaliste primé et auteur à succès. Son dernier livre : « Goliath : vie et répugnance dans le Grand Israël » (2013, Nation Books).

JPP pour l’Aurdip

Source : The Electronic Intifada

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