Réponse à l’agent de Jacky Terrasson, Christophe Deghelt, à propos du Festival de jazz de la Mer Rouge

Tali Shapiro – Boycott From Within/Pulse Media

14 janvier 2013 – Pulse Media

http://pulsemedia.org/2013/01/14/a-response-to-jacky-terrassons-agent-christophe-deghelt-about-the-red-sea-jazz-festival/

traduction : JPP

Source en français : http://www.bdsfrance.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1003%3Ala-reponse-de-jacky-terrasson&catid=9%3Aevenements-bds-france&lang=fr

Mercredi dernier, l’agent de Jacky Terrason, Christophe Deghelt, a répondu à une campagne massive pour boycotter l’État d’Israël qui sponsorise le Festival de jazz de la Mer Rouge (pour avoir plus de détails sur l’agencement du festival et ses liens avec les entreprises, voir cet article). Son post n’ayant montré vraiment aucune considération, je pense que nous, mouvement BDS, devons y répondre. Alors voici notre réponse, point par point. J’espère qu’elle fera avancer le débat public, comme le fait souvent BDS, puisque, tout comme Christophe Deghelt, c’est un « débat qui me tient à cœur ».

Note : Je ne parle pas français, je réponds à une version traduite de Google d’un post original, aussi je vais m’abstenir de mon attention particulière habituelle à la sémantique, pour ne pas m’arrêter à ce qui pourrait être une erreur technique de traduction.

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Jacky Terrasson avec son agent, Christohe Deghelt


Sur les notions de guerre, paix et lutte populaire

« Voilà un post qui risque de faire des vagues, mais j’avais envie de partager ici un débat qui nous tient à coeur.

« Depuis quelques temps, les artistes invités à faire des concerts en Israël sont systématiquement interpellés par des associations les priant ne pas se produire dans ce pays, et ne pas soutenir le gouvernement actuel et sa politique, estimant que l’Etat d’Israël pratique un Apartheid, une politique de colonisation et des crimes de guerre envers les Palestiniens. Il est évident que dans cette région du monde, dans une guerre sans répit, longue et violente, le débat est extrêmement animé et complexe. La Culture semble être aujourd’hui un enjeu, voir un nouveau champ de bataille de ce bien triste conflit… »

Les deux dernières phrases semblent charpenter le reste du post. J’aimerais les traiter ici et maintenant, ainsi nous pouvons dissiper certaines idées :

Il n’y a pas de guerre dans les territoires palestiniens occupés, il y a une occupation militaire qui transforme certaines parties de la région en zones de guerre, et d’autres parties en « lieux de refuge » pour ceux que la puissance occupante identifie comme de « confession juive ». Dans les zones de guerre, l’armée israélienne contrôle militairement les civils palestiniens. Pendant les 65 années de ce contrôle militaire, il y a eu, et il y a toujours, une résistance armée palestinienne à l’occupation militaire. Elle n’est pas importante et est faible surtout si on la compare à l’armée israélienne, la quatrième armée la mieux équipée au monde, assistée par les États-Unis d’Amérique avec plus de 3 milliards de dollars, par an, en « aide » militaire.

A la différence de la résistance armée, qui est un outil pour quelques-uns dans la société palestinienne, il existe une résistance populaire, très large, qui s’illustre en une phrase, très populaire dans ces régions : « Exister, c’est résister ».

En effet, quand « respirer tout en étant arabe » (comme l’un de mes amis l’a défini) est considéré comme un crime par l’État, alors le simple fait d’exister devient une dissidence par défaut. Cette situation – inhérente à l’occupation militaire d’Israël – mise à part, de nombreux exemples de résistance populaire peuvent être constatés dans tous les territoires palestiniens occupés, telles les manifestations hebdomadaires contre le mur d’apartheid, les plus récentes d’une série d’actions directes contre les mécanismes spécifiques de l’occupation, tels encore les procédures judiciaires et, bien sûr, le mouvement BDS qui souligne que la culture a toujours été dans ce champ de bataille.

Je comprends qu’avec cette massive quantité d’informations il ne soit pas facile de réfléchir à cette question. Pas pour les 65 ans (et quelques autres) d’histoire. Je veux juste être sûre que cet argument, « c’est compliqué », soit le point de départ d’un enseignement, et non une réponse définitive qui nous rendrait facile, à nous, de nous laver les mains de ces graves parodies, comme c’est souvent le cas.

Le conflit du Festival de la Mer Rouge

«  …Depuis quelques jours, deux artistes de jazz, Erik Truffaz et Jacky Terrasson sont pris à parti dans une polémique féroce, via facebook, les réseaux sociaux, les sites internet, débat qui déchaine les passions par leur venue au Red Sea Jazz Festival, à Eilat en Israel ce mois ci. Ces deux artistes sont connus et reconnus pour leur talent, leurs qualités humaines, leur grande ouverture d’esprit, leur position pacifiste et leur générosité.

«  Voici donc, dans ce post notre position sur ce débat. Pour essayer de sortir d’une polémique difficile, et d’éviter les pièges du manichéisme, de l’aveuglement, de la manipulation et de l’intolérance.

«  Pour situer le contexte, tout d’abord voici un bref historique.

«  Le 12 Décembre 2012, nous concluons un contrat pour deux concerts au Red Sea Jazz Festival de Jacky Terrasson en trio avec les organisateurs du festival.

«  Le 2 Janvier, nous recevons un courrier du BDS France (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) nous demandant de boycotter ce concert. Voici cette lettre :

« Lettre BDS

«  Le 4 Janvier, je prends contact avec le représentant de cette association, Monsieur Dror. Nous parlons une bonne heure au téléphone, nous essayons d’expliquer pourquoi nous avons accepté de jouer en Israel et notre refus d’être instrumentalisé dans ce conflit, et notre refus de boycotter ce festival et nos fans en Israel tout en expliquant notre sympathie envers la cause Palestinienne, notre tristesse dans cette guerre féroce, et notre mission première, à savoir de délivrer un message de paix…  »

Il semble que Christophe Deghelt a déjà fait son choix (je me demande si Jacky Terrasson a fait le sien ?). Il veut que Mr Terrasson ne soit pas « exploité dans ce conflit ». Je ne suis pas sûre de quel « conflit » il parle ; de celui qu’on appelle le « conflit Israël-Palestine, ou du conflit du Festival de jazz de la Mer Rouge. Dans un cas comme dans l’autre, je comprends ce qu’il dit comme, « nous ne voulons pas être impliqués dans tout cela ». Mais j’arguerais d’abord que si vous voyez un policier frapper un enfant (sur le dessus de la tête) et que vous « ne voulez pas vous impliquer », vous prenez parti pour le policier armé (et Desmond Tutu tend à être d’accord avec moi…).

Mon deuxième argument est qu’en jouant en Israël, les artistes se mettent d’eux-mêmes au coeur de l’action. C’est à ces artistes qu’en premier lieu, le mouvement BDS s’adresse spécifiquement, et non à ceux qui n’ont jamais choisi d’être mêlés à cette région du globe. Et non seulement les premiers s’impliquent d’eux-mêmes, mais dans le cas du Festival de jazz de la Mer Rouge, ils récupèrent de l’argent de l’occupant, de ses institutions, et d’entreprises qui profitent de la situation de guerre. Il s’ensuit alors que si vous acceptez ce prix du sang, vous ne pouvez compter que les victimes se taisent, ou ne manifestent leur désapprobation devant les choix qui sont les vôtres. Votre « sympathie » est plutôt vide de sens si par ailleurs vous n’êtes qu’indifférence, hostilité ou désapprobation, et votre « message de paix » est à l’avance perdu.

Parler de « paix », abattre le messager

« …Dans le même temps, la RTS (Radio Suisse) organise un débat le dimanche soir en direct, au sujet de la présence d’Eric Truffaz au Red Sea Jazz Festival (son animateur nous ayant contacté dans le week-end, mais nous n’étions pas disponibles pour participer à ce débat). Nous constatons que les murs facebook des pages de fans d’Erik et de Jacky sont envahis de commentaires, de pressions, pas par nos fans habituels, mais des militants. Certains commentaires sont franchement désagréables, et c’est vraiment du harcèlement et du dénigrement caractérisé. Les murs deviennent des champs de bataille entre les militants activistes du boycott, les fans et les israéliens et pro-israéliens. Quelle tristesse !… »

Comme mes lecteurs réguliers le savent, je me concentre sur cette idée étrange que la politique et la musique ne se mélangeraient pas. Étant donné que la culture ne se crée pas dans un vide, il va de soi que certains fans de musique auront plus à dire – à leur idole – que simplement, « vous rockez ». Ce dernier paragraphe ne veut rien dire, n’apporte rien, sinon qu’il renforce une culture superficielle de la célébrité, l’ironie est qu’il classe le « militant » comme quelqu’un de malhonnête, et le « fan », d’honnête, et que les deux en quelque sorte se neutralisent mutuellement. Je rappelle aux agents, tirant un pourcentage sur les artistes qu’ils représentent (permettez-moi de me citer) :

« Les célébrités incarnent un espace unique et très emblématique dans le système capitaliste dans lequel elles sont des personnages humains et, dans le même temps, des notoriétés. Elles soutiennent souvent des produits et des services dont elles bénéficient. Bien sûr, il serait naïf de supposer que leur jouissance de ces produits et services et que leur approbation qui en découle relèvent d’un processus organique. Percevant l’influence que peut avoir le statut de célébrité, les sociétés séduisent des acteurs et des musiciens de renom avec des milliers de dollars en paniers-cadeaux d’échantillons et en services gratuits, dans l’espoir que la célébrité rattache sa notoriété à la marque de la société.

« Le problème avec ce système, comme cela est courant avec le capitalisme, c’est que dans la majorité des cas, les célébrités ne vérifient pas le label, pour parler ainsi, et souvent soutiennent des sociétés qui violent l’environnement, les animaux et les humains. »

« Quelle tristesse » en effet ! Mais n’est-il pas merveilleux que les espaces des artistes s’animent par l’intérêt de la politique ?!

«  …Le 7 Janvier, nouvelle communication du BDS, cette fois ci par émail. Se faisant plus pressante. Le festival est marqué par “le sceau de la honte”. Voici cet émail :

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Cher Christophe,

Nous nous sommes parlés vendredi dernier au sujet du voyage prévu de Jacky Terrason en Israël, et je vous suis très reconnaissant de nous avoir accordé autant de votre temps.

Comme vous devez être au courant, les choses se précipitent à ce sujet, et vous ne pouvez plus prétendre, dans le contexte actuel, que le choix de se rendre au festival d’Eilat peut rester un choix purement artistique exempt de signification politique. Que vous le vouliez ou non, la politique vous a rattrapé…

Stanley Jordan, la tête d’affiche du festival, a annulé son voyage (faisant suite au Portico Quartet), Erik Truffaz s’est exprimé publiquement, sa page facebook est envahie de commentaires et nos amis Suisses n’ont pas renoncé à le faire changer d’avis, une campagne de boycott commence en Pologne etc.

Nous, avec nos amis palestiniens et israéliens progressistes, n’avons pas renonçé non plus à faire changer Jacky d’avis. Sa page facebook (vierge à ce jour de tout commentaire politique) débute par un article du Jerusalem Post faisant état de sa participation au festival. Il ne peut malheureusement pas rester neutre, car il n’y a pas de neutralité dans cette région du monde. Au mieux, il peut annuler discrètement, sans en faire état publiquement. Mais s’il y va, il ne peut pas rester discret car il n’y a pas non plus de discrétion dans cette région du monde : il sera publiquement vu comme ayant fait un choix, ayant choisi un camp, le soutien au gouvernement israélien, le côté de l’oppresseur.

Lors de la campagne contre l’Afrique du Sud dans les années 1980, très peu d’artistes ont rompu le boycott culturel de ce pays, même s’ils ne voulaient pas faire de politique, même s’ils y avaient des fans qui n’étaient pas directement mêlés à l’apartheid. Ceux qui l’ont rompu en ont honte aujourd’hui.

Pour Jacky, pour qu’il ne regrette pas amèrement sa décision, il est encore temps d’annuler sa participation à ce festival désormais marqué du sceau de la honte…

Cordialement, et avec espoir,
Dror, pour la Campagne BDS France
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«  Ce sont à présent des émails directement envoyés à notre bureau, aux artistes, de personnes inconnus, et c’est un vrai raz de marée. Face à cette pression et ce harcèlement nous avons décidé de répondre, de publier cette réponse sur notre blog et nos réseaux sociaux et de défendre notre position. Je pense que notre réponse montre une troisième voie, plus juste, plus tolérante pour sortir de ce conflit où l’on souhaite instrumentaliser les artistes. La voici :

«  Cher Dror,

«  Comme je vous l’ai indiqué au téléphone, nous ne partageons pas vos méthodes de « pression sur les artistes », votre Boycott Culturel. Nous refusons d’être instrumentalisé et nous ne céderons pas à vos pressions par courrier, par mail, par téléphone et sur facebook… »

Quelques observations avant d’aller plus loin :

1 – Oui, il est honteux de participer au Festival de jazz de la Mer Rouge. Pas pour son contenu, mais pour l’exploitation politique qui en est faite par l’État d’Israël, qui blanchit ainsi ses crimes de guerre contre la population palestinienne sous sa domination.

2 – Le mouvement BDS n’exploite pas les artistes, il fournit des informations sur le lieu où ils se produisent, qui se trouve être dans une zone de guerre, et par là, il leur donne une occasion de prendre une décision éclairée à propos de leurs spectacles.

3 – Qualifier les pétitions à l’attention des célébrités de harcèlement réduit la capacité d’une société civile à se protéger contre le mal. Nous, gens simples, quand nous demandons justice (comme nous en avons le droit), n’avons pas le privilège des gouvernements qui peuvent avoir recours à une ordonnance judiciaire, aussi notre seul recours est-il la pression populaire. Mélanger un appel à l’aide fort et désespéré, avec de l’« intimidation », « manipulation », « intolérance », du « terrorisme », est un acte de lâcheté, et c’est souvent le privilège de ceux qui ont le choix (pour ne pas dire de ceux qui s’inscrivent dans la droite ligne de la définition qu’a l’État d’Israël pour tout acte de résistance des Palestiniens ou de ceux qui les soutiennent).

« …Jouer en Israël ne veut pas dire que nous approuvons la politique de son gouvernement, et ne veut pas dire que nous ne comprenons pas le désarroi et la souffrance de la population palestinienne. Votre tentative d’enfermer les artistes dans un dilemme manichéen est une malhonnêteté intellectuelle. Prétendre que soit nous jouons au Red Sea Jazz Festival donc nous soutenons la politique d’Israel ou soit nous annulons et nous montrons notre compassion pour le peuple Palestinien est une attitude bien trop réductrice, et nous refusons de rentrer dans aucune de ces deux cases là… »

C’est là un dilemme manichéen, mais ce n’est pas le mouvement BDS qui l’a créé, il l’a seulement identifié. Malheureusement, une fois que vous acceptez l’argent de l’État d’Israël, vous acceptez l’argent de l’entité qui contrôle la vie des Palestiniens et qui l’utilise de façon criminelle. En outre, la culture est considérée par l’État comme un domaine permettant de détourner l’opinion internationale de ses violations des droits humains, canalisant ainsi la participation des artistes à ses évènements culturels dans cet objectif précis. Pour parler simple, jouer en Israël revient à approuver sa politique et à prendre une part active dans son blanchiment.

« …1/Jacky n’a pas joué en Israel depuis plus de 15 ans, et nous avons de nombreux fans qui se réjouissent de sa venue. Nous aimons les êtres humains, qu’ils soient israéliens, palestiniens, juifs, musulmans, et nous jouerons toujours pour l’humanité. Nous ne faisons pas de ségrégation de notre audience et de nos fans… »

Jouer en Israël signifie qu’environ quatre millions d’être humains palestiniens, que vous aimez, et qui sont pris au piège dans une bande de Gaza assiégée et par un système d’autorisations en Cisjordanie, n’auront pas la possibilité d’assister à votre spectacle (ce qui, je présume, est le moindre de leurs problèmes). Vous pouvez ne pas faire de ségrégation de votre audience et de vos fans, mais Israël en fait. Si cela vous convient, alors certainement, continuez à jouer.

« …2/ Nous ne faisons pas de politique et nous jouons de la musique, et nous portons une parole de paix et d’amour. Le conflit Israelo-Palestinien est extrêmement complexe, nous désapprouvons tout acte de violence, de part et d’autre et sommes profondément attristés par ce conflit et ses conséquences dramatiques… »

Comme je l’ai dit, si la situation vous paraît complexe actuellement, veuillez prendre le temps de l’étudier avec soin, avant de vous décider.

Il est vrai que des deux côtés, il y a beaucoup de tristesse en raison des conséquences de l’occupation militaire d’Israël des terres palestiniennes et de son système d’apartheid mis en place contre la population palestinienne, mais n’oublions pas qui opprime qui, et pourquoi nous devons agir afin de mettre fin à cette oppression.

« …3/ Si le Festival d’Eilat est financé en partie par le gouvernement israélien, c’est un signe d’ouverture vers la culture et le jazz, et cela ne peut être que bénéfique pour confronter nos cultures. Une dictature n’invite pas les artistes étrangers, bien au contraire. Les fans de Jacky en Israel sont comme tous les fans de jazz des gens humains, pacifistes, et qui espèrent la paix dans cette région du monde. Ils sont vos meilleurs alliés et vous semblez vouloir les punir. De plus le festival d’Eilat est un festival internationalement reconnu pour sa qualité et son ouverture sur le monde… »

En effet, le gouvernement d’Israël est ouvert à la culture du Jazz et au monde. Il l’est moins à la culture palestinienne et à la présence palestinienne, ce qui est à la source de notre problème. Une dictature fait ce qu’elle peut pour perpétuer les mécanismes de sa domination. Israël ne répond pas à la définition de dictature, c’est davantage une ethnocratie tyrannique. En tant que citoyenne d’Israël, je n’ai nul besoin qu’on m’explique l’humanité des « fans israéliens ». En tant que militante BDS, j’ai pu voir leur côté humain, espérant la paix, bien souvent. Je ne peux pas vraiment dire que ce sont mes « meilleurs amis », et personnellement, j’ai tendance à ne pas décider de mes amitiés en inspectant une carte d’identité (en Israël, à ce propos, la carte d’identité désigne aussi la religion, et c’est ce qui détermine votre liberté de mouvement).

« …4/ Boycotter le festival, c’est un message injuste envers l’ensemble de la population israélienne, envers nos fans et nos amis, et c’est stigmatiser une population et un pays au lieu d’apporter une contribution pacifique et un message d’espoir. Nous sommes libres en Israel d’exprimer nos convictions, et j’en ai parlé avec les organisateurs du festival. Poussons votre raisonnement jusqu’au bout, plus aucun artiste étranger ne vient se produire en Israel… plus de festival de jazz… qui aura gagné ? où est l’ouverture, la liberté ? la possibilité de porter une culture différente ? d’exprimer nos opinions ? Que dire de la politique artistique en Iran, en Syrie, au Mali aujourd’hui ? Plus aucun artiste étranger n’est invité. Est ce là votre sens de l’ouverture et du Dialogue ?…  »

J’espère que maintenant il est clair que ce qui est en jeu, c’est le « droit » des citoyens agréés par Israël à se divertir, contre le droit de la population palestinienne non reconnue à la vie, aux mouvements, à l’eau, à la protection contre les arrestations arbitraires et les tortures, à l’enseignement, à l’occupation (j’entends par là, le « travail »), à l’autodétermination et aux innombrables autres droits humains fondamentaux qu’Israël viole quotidiennement. Moi, citoyenne d’Israël, je crois que le moins que je puisse faire, c’est de renoncer au privilège d’aller au festival de jazz, pour que les Palestiniens puissent faire un pas de plus vers la libération. Je crois que si un citoyen d’Israël n’est pas d’accord avec cette dernière déclaration, c’est que, soit il est délibérément égoïste et extrêmement cruel, soit il a besoin d’examiner la situation afin de se décider en conscience.

Vous pouvez être libres d’exprimer vos opinions en Israël, mais pas les Palestiniens. Et moi non plus. Tout récemment, Israël a voté une loi qui interdit ces boycotts. Ceci signifie qu’en écrivant pour vous répondre, je risque des poursuites en vertu du droit des sociétés et il n’y aura même pas à prouver l’existence d’un préjudice. Où sont l’ouverture, la liberté, la possibilité de porter une culture différente, d’exprimer nos opinions ?

Quant à l’Iran, la Syrie, le Mali et tous les autres endroits dans le monde où est entravée la liberté d’expression, quel qu’en soit le moyen, s’il vous plaît, allez-y et prenez les mesures que désirent leurs habitants. Mais ne vous servez pas d’une situation désastreuse pour en favoriser une autre.

« …5/ Vous nous dîtes que certains Palestiniens ne pourront pas assister au concert de Jacky, c’est effectivement bien triste, mais nous serons heureux de jouer en Palestine si on nous y invite (ce qui n’a pas encore été le cas). Nous ne sommes pas responsables de cette situation et ne pouvons que la déplorer. Le chemin est long vers un monde meilleur… »

Comme je l’ai mentionné précédemment, que quatre millions de Palestiniens ne soient pas effectivement en mesure de participer à votre concert parce qu’ils sont sous le contrôle militaire d’Israël, n’est pas la question. Cette observation est adressée aux artistes pour leur montrer l’impact du contrôle militaire. De toute évidence, la question est le contrôle militaire lui-même, et non le manque de loisirs. Soyons sérieux maintenant.

«  …6/ Nous rejoignons Eric Truffaz dans sa réponse, si nous devions être d’accord avec les politiques des gouvernements des pays qui nous invitent, nous n’aurions pas beaucoup d’endroits où nous jouerions. Notre mission est ailleurs, dans la musique et dans l’espoir de porter un message de paix et de tolérance aux peuples de notre planète… ».

Une fois encore, l’analyse du lien entre les évènements culturels en Israël et la politique de blanchiment de ses crimes de guerre et de ses violations des droits humains, est particulière à Israël. Ailleurs, il existe d’autres analyses sur les situations et actions pour corriger la situation. Les Palestiniens demandent que leur analyse de leur oppression soit respectée par ceux qui comprennent leurs douleurs. Comme je l’ai dit, si vous ne sympathisez qu’avec des mots, votre « message de paix » musical sonnera creux.

Eh bien, ça dégénère vite…

« …7/ Votre activisme et votre intolérance sont insupportables. De « faux fans facebook » publient des messages demandant expressément aux musiciens de ne pas jouer en Israel, et c’est bien du harcèlement que vous faîtes auprès des artistes. C’est d’ailleurs très étonnant car ces fans qui prétendent influencer les artistes ne sont pas de vrais fans, mais simplement votre armée de petis soldats qui viennent polluer un espace paisible et positif que sont les murs facebooks des artistes.

«  8/ Lors de notre conversation téléphonique, vous avez insinué assez sournoisement que vous êtes un grand fan de Jacky Terrasson et que vous achetiez ces disques et veniez à ces concerts, mais que vous allez y réfléchir à deux fois maintenant que vous savez qu’il joue pour Israel. Ces propos contestables comme le ton de votre dernier mail ne changeront pas nos convictions. Je ne crois pas un seul instant que vous soyez fan de Jacky Terrasson… »

J’ai déjà répondu à ces arguments, mais je vous fais remarquer que les mouvements de la société civile ne sont pas des armées. Si l’idée touche au fait que nous avons réussi à nous organiser avec succès, et vous diffamez cette réalité, je vous suggère d’examiner l’agenda de ceux que vous êtes en train d’encourager.

« …9/ Ce qui me dérange le plus dans votre démarche… c’est la haine d’Israel que vous avez, une haine maladive, aveugle et bien sur dissimulée par du « politiquement correct ». Par vos actions, ce ne sont pas les Palestiniens que vous aimez et que vous défendez, ce sont les Israeliens que vous haïssez. En d’autres temps, on sait très bien où cette folie à pu conduire notre monde. Vous êtes antisionniste et sournoisement et paradoxalement antisémite (vous le petit fils d’un rabbin connu pour ses positions humanistes), vous le dissimulez sous un prétexte d’organisation humanitaire, et de justicier du monde... »

Il n’y a rien de morbide, ni de « politiquement correct » dans la haine d’un régime violent qui anéantit systématiquement la vie d’êtres humains, parce qu’ils sont arabes, musulmans ou palestiniens. Ce qui me préoccupe dans votre approche, c’est que vous êtres plus gêné par la démarche de Dror que par ce que fait l’État d’Israël aux Palestiniens et leur utilisation du concert de Mr Terrasson pour le fairer oublier (lequel Dror, dans ses lettres que vous publiez, se distingue particulièrement par sa politesse et sa préoccupation de ce qui pourrait advenir à l’image de Mr Terrasson, si celui-ci décidait de persister avec le Festival de jazz de la Mer Rouge).

Je trouve cette dichotomie entre « Palestiniens que vous aimez » et « Israéliens que vous haïssez » plutôt bizarre, venant de quelqu’un qui a de la « sympathie » pour la douleur palestinienne, et spécialement quand cela concerne Dror, que je ne connais pas personnellement, mais dont le nom est explicitement israélien. Cette attaque contre lui, son caractère, et cette incursion dans sa vie privée, le qualifiant d’antisémite et en insinuant l’insulte éculée du « juif haineux de lui-même », tout cela relève, véritablement, du harcèlement et d’une intolérance intolérable. Il y a beaucoup de citoyens d’Israël et de personnes de confession juive dans le mouvement, comme il y a beaucoup de chrétiens, musulmans, bouddhistes et wiccans. Ceci devrait d’autant plus renforcer votre confiance dans ce mouvement antiraciste, et ne pas vous encourager à faire des déclarations qui – très franchement – ont elles-mêmes une connotation d’antisémitisme.

« …10/ Si Stanley Jordan, le Portico Quartet ont annulé leur concert au Red Sea Jazz Festival, c’est leur choix, que nous respectons. Certains de nos artistes refusent de jouer en Israel. Ce sont leurs convictions politiques et nous vivons en démocratie, et nous respectons sincèrement toutes les opinions. Mais respectez les nôtres, nous pensons être plus utile en étant invité à exprimer notre musique pour le peuple israélien plutôt qu’à refuser de venir jouer dans un pays dont nous désapprouvons les décisions gouvernementales. Libre à Jacky Terrasson de se faire sa propre opinion, après sa venue. Ne forcez pas les gens à penser ce que vous souhaitez qu’ils pensent… c’est de la dictature intellectuelle et de la manipulation, celle là même que vous prêtez aux dirigeants israéliens… »

Nous respectons votre opinion, votre sympathie, mais nous ne pouvons respecter votre volonté de prendre l’argent du régime d’apartheid d’Israël aux fins de blanchir ses crimes de guerre. Nous demander de respecter cela est immoral. Une fois encore, je suis obligée de le rappeler, le mouvement BDS n’est pas une armée, ni un gouvernement capable de faire appliquer une « dictature intellectuelle ». Un mouvement de la société civile se construit avec les gens (ils peuvent être militants, ils peuvent être des fans de musique, ils peuvent être les deux à la fois, ils peuvent être ni l’un ni l’autre). Ces personnes peuvent seulement vous parler de leur cas et elles espèrent que vous les écouterez. Nous n’imputons pas la tyrannie à l’État d’Israël comme un exercice intellectuel, nous le faisons parce que c’est une réalité que les Palestiniens et les citoyens d’Israël vivent, tous les jours.

« …11/ La Palestine a besoin de soutiens internationaux, d’actions positives, de paix et ce n’est pas en prônant la violence (intellectuelle et verbale) et l’intolérance, que vous aiderez la Palestine. Je me suis moi-même rendu à Ramallah, pour y produire un concert gratuit de Shakti, soutenu par les Nations Unies, et nous avons aidé à financer une école de musique pour les enfants victime de la guerre. Voilà des actions positives, pacifistes qui ont un sens, de l’humanité. Mettre dos à dos les deux camps, ce n’est pas oeuvrer pour la Paix, c’est mettre de l’huile sur le feu... »

C’est très bien que des artistes veuillent réaliser un travail communautaire dans les communautés palestiniennes et tant mieux pour vous. Comme je l’ai répété à Stanley Jordan à plusieurs reprises dans les discussions qu’il a ouvertes sur Facebook, cette option est toujours sur la table, mais cela n’a rien à voir avec la participation à un concert qui est payé par le gouvernement d’apartheid, et utilisé pour blanchir ses crimes de guerre. Vous pouvez toujours faire les deux. Vous pouvez respecter ce que la société civile palestinienne considère comme une « action positive », « et » annuler un concert complice, « et » agir dans les communautés palestiniennes qui souffrent, étant ainsi solidaires.

« …12/ Votre comparaison avec l’Apartheid en Afrique du Sud est fausse. L’Apartheid en Afrique du Sud fut condamnée par les Nations Unies et se définie par une ségrégation raciale, qui donna lieu dès le 2 Décembre 1968 à une recommandation de suspendre tous les échanges culturels, educatifs et sportifs avec l’Afrique du Sud, et dès 1973 par la résolution 3068 de l’ONU. Nous ne serions pas aller jouer en Afrique du Sud… et je pense que la couleur de peau de Jacky Terrasson (que vous ne semblez décidement pas connaître, cela en devient risible) ne nous aurait bien évidemment pas permis d’ y être invité. Le régime en Afrique du Sud était un régime totalitaire, illégitime, anti-démocratique et raciste. A ce jour l’ONU n’a pas appelé publiquement ou par résolution au boycott d’Israel, ni la France, ni les Etats-Unis qui sont les deux pays de Jacky Terrasson. Si tel était le cas, nous n’irions pas jouer en Israël… »

Malheureusement, la comparaison avec l’Afrique du Sud de l’apartheid n’est pas fausse, tel est le cas, et Jacky Terrasson est sur le point de jouer dans l’Israël de l’apartheid. Je suis très contente que vous ayez une connaissance approfondie, détaillée, de ce qu’il s’est passé dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, afin de parachever votre tableau, j’aimerais vous donner connaissance de façon tout aussi approfondie de ce qu’il se passe dans les territoires palestiniens occupés. Heureusement, d’autres l’ont déjà fait de façon très méticuleuse, aussi, je vous recommande, ainsi qu’à Mr Terrasson, de prendre le temps de consulter ces quelques sources excellentes :

http://en.wikipedia.org/wiki/Israel…
http://electronicintifada.net/conte…
http://www.youtube.com/watch?v=Bzey…

« …Dans mon agence, je représente des artistes musulmans, des artistes israéliens, beaucoup de religions différentes, de nationalités, et c’est un espace de tolérance, de paix, de dialogue. J’ai produit plus de 3000 concerts dans le monde, et c’est la première fois que je reçois autant de missives désagréables. Vous l’homme de science, vous devriez faire confiance à la rigueur de l’analyse au lieu de rentrer dans un conflit ouvert avec les artistes... »

Puisque votre bureau est un lieu de tolérance, de paix et de dialogue, il n’aimerait probablement pas être éclaboussé avec l’analyse rigoureuse qui précède. Si vous pensez autrement, vous pourriez vouloir fournir votre propre analyse rigoureuse, réfutant l’analyse rigoureuse des autres. Je souligne qu’il vous reste encore à le faire.

« …Je terminerais par cette citation de Koffi Annan, « la Tolérance est une Vertu qui rend la paix possible« … »

La tolérance est une vertu, en effet, qui rend la paix possible. Le fait qu’Israël en manque, et quelques autres, fait qu’il n’y a pas de paix.

Un débat qui nous tient à cœur : peut-on encore aller faire des concerts en Israël ?

«  …Bien Cordialement,

Christophe Deghelt,

Quelques liens pour nourrir votre réflexion, nous avons volontairement laissé toutes les opinions s’exprimer.

Le Site du BDS – la Page sur Jacky Terrasson
Le Site de Creative Community for Peace
La page Facebook – Stand with Us
La page Facebook de Jacky Terrasson
La page Facebook d’Erik Truffaz
Réécoutez l’émission sur RTS
Blog Le Monde Et si les Israéliens étaient plus ouverts que leurs partis politiques sur la Palestine ?… 
»

Avant d’en arriver à la conclusion, je voudrais réagir à certains de ces liens que vous donnez afin de m’assurer que vous comprenez bien leur contexte politique. Je prends en considération que le fait pour vous de les publier ne signifie pas que vous les approuvez.

Stand With Us est une organisation qui travaille pour et avec le gouvernement d’Israël dans les campus à l’étranger. Je recommande fortement l’analyse rigoureuse de Tom Pessah sur de tels groupes, afin de mieux comprendre le contexte politique dans lequel ils opèrent (dans le cas où les emblèmes sur leur banderole ne vous auraient pas alerté encore). Ils travaillent ensemble avec la soi-disant Communauté créative pour la paix, qui est une organisation d’agents des célébrités les plus en vue du monde, et qui oeuvre aussi de concert avec le gouvernement d’Israël, qui en reçoit de l’argent, afin de faire connaître son agenda. Ils prétendent, hypocritement, être des organisations à but non lucratif, alors qu’en réalité, ils agissent pour empêcher toute tentative de s’assurer que leurs artistes ne profitent pas de l’occupation militaire. En échange, l’État d’Israël a transformé les boycotts qui « nuisent à l’État d’Israël » en une « faute civile », accordant aux entreprises le droit de poursuivre les personnes au motif qu’elles les ont boycottées pour des raisons morales, sans avoir à prouver l’existence d’un préjudice.

S’agissant de l’article dont vous nous donnez le lien, il fera sérieusement l’objet d’une autre réponse de ma part, en attendant, je vous propose des articles ayant rapport à la question que cet article tente d’aborder.

http://www.guardian.co.uk/world/201…
http://www.haaretz.com/print-editio…
http://littlegreenfootballs.com/pag…
http://www.haaretz.com/news/nationa…

Arrivant au terme de cette longue discussion, j’aimerais noter que la publication sur un blog qui n’offre aucune possibilité de commentaires étouffe quelque peu la possibilité d’avoir ce « débat qui nous tient à cœur ». Mais quand on veut, on peut. Je serais heureuse d’être contactée pour plus d’informations. Je serais même encore plus heureuse si vous poursuiviez ce débat, en public.

Enfin, sur votre question : « Peut on encore aller faire des concerts en Israël ? »

Oui, vous pouvez. Et aussi Jacky Terrasson le peut. Vous avez le privilège de faire ce que vous voulez, mais par respect pour les Palestiniens sous la botte de l’oppression d’Israël, nous vous demandons d’annuler votre concert en Israël, un concert soutenu par son gouvernement oppressif d’apartheid et utilisé pour blanchir ses violations des droits humains des Palestiniens.

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Tali Shapiro
 est une militante israélienne des Anarchistes contre le Mur et de Boycott de l’intérieur

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