Tramadol n’est pas un antidote au siège israélien

Tramadol n’est pas un antidote au siège israélien

*Les comprimés Tramadol sont devenus dangereusement populaires à Gaza en tant qu’antidote au stress généré par l’occupation israélienne.

GAZA (ville), le 21 oct 2012 (Inter Press Service) – Par Eva Bartlett

 

Il est pris comme un antidote au stress de l’Occupation. Mais l’engouement pour l’analgésique Tramadol dans la Bande de Gaza tient davantage au fait qu’on le trouve partout que dans son efficacité en tant qu’ « anesthésiant ».

En état de siège depuis début 2006, les moyens de relaxation sont rares dans la Bande de Gaza et même les plus résistants et les plus éduqués ont cherché en Tramadol un échappatoire par rapport aux terribles réalités du traumatisme, de la pauvreté et du stress continu.

Médicament de synthèse souvent prescrit contre les affections douloureuses, le comprimé inoffensif peut se transformer en un rien de temps en un type plus puissant et potentiellement mortel : celui que fourbit illégalement le marché noir.

« Chaque semaine, nous avons trois ou quatre cas d’overdose, la plupart d’entre eux concernant de jeunes hommes », déclare Abu Yousef, 34 ans, auxiliaire médical depuis plus de dix ans. « Les patients sont en sueur, délirants, vomissent, ont des douleurs abdominales et peuvent dans certains cas halluciner…C’est de la morphine après tout, ça a de nombreux effets collatéraux ».

Bien que n’étant jamais devenu dépendant, il a lui-même pris du Tramadol sur ordonnance après des années d’incarcération dans les prisons israéliennes. « Je prenais du Tramadol contre les douleurs abdominales après avoir été relâché. Mais j’ai arrêté d’en prendre, je prends un antalgique maintenant », précise-t-il.

Mais la majorité des utilisateurs ne prennent pas le médicament sur le conseil d’un médecin. « Certaines personnes ont l’impression que ça les rend fort, que ça les booste. Même certains médecins en prennent de temps à autre, parce qu’ils travaillent sur une amplitude importante. Les travailleurs des tunnels sont plus enclins à en prendre régulièrement. Mais pour eux, il s’agit de maintenir l’endurance plutôt que d’atténuer la souffrance.

Le Dr Hossam Al Khatib, 28 ans, se spécialise dans les addictions. Dans son travail, consistant à aider les personnes dépendantes à mettre un terme à leurs habitudes, il observe une variété de parcours de vie et de raisons derrière la prise du médicament.

« La plupart veulent oublier leurs problèmes et Tramadol les y aide temporairement » affirme-t-il.  « Il y a un chômage important parmi les jeunes et les adultes à Gaza, aussi il y a-t-il, dans les six dernières années, davantage de gens ont commencé à utiliser Tramadol, dont de récents diplômés d’université qui, une ou plusieurs années après l’obtention de leur diplôme, n’ont pas trouvé d’emploi. »

Bien qu’il estime qu’il y a eu une augmentation conséquente de l’usage du médicament après le traumatisme de la guerre israélienne à Gaza en 2008-2009, Khatib cite la fermeture totale de la Bande de Gaza comme étant la raison première des niveaux actuels d’usage de drogue particulièrement élevés. « Le blocus engendre tous les problèmes : fort chômage, désespoir, stress, anxiété, dépression. Même certains jeunes de 15 ans et plus en prenne parce que leurs vies sont trop difficiles ».

Avec des comprimés vendus si bon marché dans les rues de Gaza, il est plus facile pour les jeunes de commencer à prendre ces comprimés quitte à en devenir dépendant que de rechercher d’autres drogues dures, plus chères et moins disponibles.

Khatib explique que les drogues et la Marijuana sont présentes à Gaza bien avant 2006 et l’imposition du siège israélien. « Mais les gens n’utilisaient pas Tramadol et les drogues comme un échappatoire à l’instar d’aujourd’hui. C’est véritablement le produit de l’Occupation ».

Les motifs d’utilisation sont plus profonds que le simple chômage et la frustration, estime Khatib.     La situation à Gaza engendre un changement dans la société palestinienne, entraînant davantage de problèmes dans la famille. Par exemple, un jeune dont le petit frère a un travail mais pas lui. Il se sent humilié de ne pouvoir contribuer financièrement à la famille ni de fournir les moyens de subsistance de ses propres femme et enfants. »

Les jeunes hommes en âge de se marier qui ne peuvent assumer le coût d’un mariage et d’une vie conjugale, ont de plus en plus de risque de développer une addiction au Tramadol ou à d’autres substances, comme soulagement temporaire à leur honte et à leur misère, relève le Dr Khatib.

Bien qu’il déclare que certains soient de simples utilisateurs occasionnels, selon son expérience,          à peu près 20% d’entre eux le sont de manière chronique. « Accros », dit-il.

Khatib et Abu Yousef disent que la majorité des drogues entrent via les tunnels de l’Egypte, lien vital de Gaza qui a permis de rapporter nourriture, bétail, besoins de l’agriculture et de la pêche et pratiquement tout ce qui est interdit par Israël pendant ces longues années de fermeture des frontières de Gaza.

« A cause de la pauvreté généralisée en Egypte, de nombreux Egyptiens fabriquent le Tramadol chez eux, pour le vendre. Il s’agit parfois d’un mélange de morphine et de mort-aux-rats », dénonce Abu Yousef. « Le poison est un excitant, il stimule le cerveau à produire de la sérotonine, comme le fait le Tramadol. Le poison lui-même ne crée pas une dépendance, mais à forte dose ou lors d’un usage répété, il peut provoquer la mort ».

Comme avec la plupart des addictions, l’ironie, dans l’usage du Tramadol, c’est que non seulement il ne résout pas les problèmes originels auxquels les utilisateurs veulent mettre un terme en le prenant mais ça les aggrave, dit Khatib.

« Les effets secondaires courants et les symptômes d’état de manque sont la dépression, l’anxiété, l’insomnie, le désespoir et le remords d’avoir pris de la drogue. Avec les toxicomanes chroniques,      il peut y avoir des pertes de coordination, des problèmes sexuels et même la stérilité ».

Considérant la plupart des accros comme recherchant de manière erronée une solution à leur état psychologique, Khatib souligne l’importance de l’aide psycho-sociale une fois que les utilisateurs ont arrêté de prendre le comprimé. «  Nous essayons de susciter en eux un sentiment d’importance et d’optimisme et les encourageons à se socialiser, pour ne pas rester retirés de leurs amis et de leur communauté».

Le chômage étant l’une des principales causes de stress, la clinique de Khatib essaye d’aider les anciens toxicomanes  à trouver un travail « et à les encourager à être patients dans leur recherche d’emploi pour ne pas abandonner ou se laisser aller au découragement ».

Le problème de base varie, dit-il, mais comme avec de nombreux problèmes actuels de Gaza, la solution est douloureusement claire : « Si les frontières étaient ouvertes, le siège levé, le travail disponible de nouveau, les gens ici ne se sentiraient pas désespérés, ne sentiraient pas le besoin de prendre des drogues comme Tramadol »  estime le Docteur Khatib.

Traduit par Marie G. pour l’Agence Média Palestine

Source originale : http://ingaza.wordpress.com/2012/10/21/tramadol-use-no-antidote-to-israeli-siege/

 

 


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